Monde ANTIQUE - AFRIQUE : ÉGYPTE

La Chambre disputée de Néfertiti

LE MONDE HISTOIRE ET CIVILISATIONS N°61 > Mai > 2020

Une Liberté Conditionnelle




P.V. - LE MONDE HISTOIRE ET CIVILISATIONS N°60 > Avril > 2020

Reines d'Égypte : un Pouvoir Méconnu

Un nom pour l'éternité. Qu'il exprime un sentiment ou un lien particulier pour une divinité, le nom pour les égyptiens, fait partie intégrante de l'individu...



Destins de Reines

Belles comme des images, inaccessibles comme des mythes, les reines égyptiennes ont emporté leurs secrets pour l'éternité.

LA GRÂCE SOLAIRE DE NÉFERTITI

Passée dans la légende grâce à sa beauté, Néfertiti eut surtout un rôle culturel inégalé dans la révolution religieuse imposée par Akhénaton, son époux.

Son nom signifie "la belle est venue". Et c'est bien grâce à l'aura de sa beauté que Néfertiti a traversé les millénaires. Dans les livres d'histoire, elle rivalise en célébrité avec Cléopâtre. De toutes les reines d'Egypte, aujourd'hui encore, elle est considerée comme la plus gracieuse. Elle le doit beaucoup à un buste de pierre plâtré et peint, un des fleuron du Musée égyptien de Berlin. On la découvre très jeune, dotée de traits purs et fins, son long cou mis en valeur par un collier échancré, presque émaciée - incroyablement moderne. La bouche, le nez, les yeux, l'ovale du visage n'ont rien à envier à ceux des stars d'Hollywood. Le buste, réalisé dans les ateliers d'Amama - la capitale fondée par son époux Akhénaton - par Thoutmès, chef sculpteur royal, est un hymne à la femme éternelle. Mais il a valu à son modèle une notoriété qui fausse peut-être la réalité historique. Car si la beauté de Néfertiti est passée dans la légende, de son véritable rôle politique, on ignore à peu près tout.

Son lieu de naissance, son origine sont des mystères. "Les hypothèses suggèrant qu'elle est de souche étrangère parce que son nom signifie "la belle est venue" sont sans fondement", selon Marc Gabolde, grand spécialiste de la période. Il la pense plutôt originaire de Haute-Egypte, comme sa nourrice Tiyi. Cette dernière est connue pour être l'épouse d'Aÿ, courtisan fidèle d'Akhénaton et futur pharaon. Il est possible que Néfertiti soit la fille d'Aÿ. Par ailleurs, on suppose à Néfertiti une sour, Moutnedjmet, qui apparait sur plusieurs représentations. Voila pour les liens familiaux. C'est peu. Mais son illustre compagnon la mettra en lumière : car durant 17 ans, Néfertiti vécut aux côté d'Akhénaton dont elle fut la principale épouse.
Akhénaton s'appelle encore Amenhotep IV lorsqu'il monte sur le trône en 1350 av. J.-C. Trés vile, il institue un culteà une nouvelle entité nommée "Ré-Horakhty (Ré-Horus-de l'horizon) en sa nature de lumière solaire qui émane du disque Aton", abandonnant peu à peu à son profit le dieu dynastique Amon ("le caché"). La rupture avec son clergé est définitivement consommée lorsque le pharaon décide de quitter Thèbes pour une nouvelle capitale, Amarna, en Moyenne-Egypte. Il change son nom, devient Akhénaton, "celui qui est utile à Aton", et simplifie la religion polythéiste égyptienne, érigeant à Amarna des monuments et, des sanctuaires à la gloire du disque solaire, auquel il rend désormais un culte exclusif. Le pharaon réformateur supprime le rite funéraire osirien qui remonte pourtant à la nuit des temps, bouscule deux millénaires de croyances en quelques années et impose ce que certains chercheurs ont voulu voir comme les débuts du monothéisme (thèse reprise par Freud dans Moïse et le monothéisme), mais qui fut surtout une période d'exacerbation de la fonction royale.

LE PREMIER COUPLE DIVIN : Néfertiti adhère à la révolution religieuse d'Amarna, accompagne le passage du culte d'Amon à celui d'Aton. Durant le règne de son mari, son rôle rituel dépasse celui des reines qui l'ont précédée. Une évolution liée au changement religieux, selon Pascal Vernus, égyptologue passionné de la Belle à laquelle il a mème consacré un roman : "La nouveauté de la doctrine d'Akhénaton a été d'accentuer le parallélisme entre la Création et le pharaon. Akhénaton considère qu'Aton représente le soleil créateur tandis que lui et Néfertiti sont le premier couple différencié, images des jumeaux Shou (dieu de l'Atmosphère) et Tefnout (sa sour qui incarne l'humidité), et le premier couple divin dans la triade formée par le dieu créateur et ses enfants.
En prenant le rôle de Tefnout, la reine se trouve automatiquement promus dans les représentations de scènes religieuses parvenues jusqu'à nous, le culte semble co-célébré par le couple royal, accompagné de ses filles. Le roi et la reine sont toujours présentés baignant dans la lumière du disque solaire dont les rayons, terminés par des mains, les touchent, eux et nul autre, pas même les princesses.

Les statues, les silhouettes de Néfertiti témoignent de son importance. A Karnak, sur les parois du temple d'Aton, la reine apparait plus souvent que son époux : elle figure non seulement presque toujours à ses côtés, mais aussi seule devant la divinité. Ailleurs, elle est représentée en Sphinx, ce qui est en général un attribut du pharaon. On la voit fouler aux pieds les ennemis de l'Égypte, attitude également réservée au pharaon. Ou portant le Khat, coiffe royale en forme de sac.

NÉFERTARI, LA PLUS BELLE

Néfertari Meryenmout ("La plus belle de toutes, aimée de Mout") est la principale Grande épouse royale du pharaon Ramsès II qui vécut sous la XIXe dynastie aux environs du XIIIe siècle avant notre ère.

Elle est une des huit épouses connues de Ramsès II. On pense qu'il aurait, à l'âge de 16 ans, épousé Néfertari, quant à elle âgée de 14 ans, pendant la corégence avec son père Séthi Ier à Memphis. Elle fut toujours l'épouse préférée de Ramsès, bien que celui-ci eût avec Isetnofret un fils, Mérenptah, qui deviendra pharaon.
Néfertari a été une figure importante de cette époque. Elle a eu une grande influence sur le monarque qui tint compte de ses remarques et de ses conseils. Elle le seconda dans toutes les fonctions royales et religieuses en tant "qu'Épouse du Dieu".
"Maîtresse de la Haute et Basse-Égypte", "Dame de charme", "Douce d'Amour", "Riche de Louanges", "Belle de Visage"... les épithètes les plus sublimes ont été employés pour la qualifier.

Si les origines de la reine ne sont pas certifiées, l'hypothèse qu'elle est issue d'une puissante famille d'Akhmim est avancée, en raison d'une part de l'attachement manifeste de la reine et de sa progéniture à la cité, et d'autre part de son titre d'Épouse du dieu qu'elle porte lors des grandes cérémonies du dieu Min. Enfin, la découverte dans son tombeau d'un bouton de coffre au nom du pharaon Aÿ pourrait être un indice supplémentaire qui la rattacherait à cette illustre famille qui marqua de son influence les dernières décennies de la XVIIIe dynastie.
Néfertari fut le grand amour de Ramsès - preuve en est la façade du petit temple d'Abou Simbel que Ramsès lui a dédié, ainsi qu'à Sothis (personnification de l'étoile Sirius) et à Hathor (déesse de la joie, de la musique, de la beauté et de l'amour) que Néfertari incarnait sur terre. Sur la façade du temple, ses sculptures ont la même taille que celles du pharaon : "Ramsès a construit un temple creusé dans la montagne [.] pour la première épouse royale Néfertari Meryenmout".
Privilège exceptionnel, Ramsès II, qui s'est lui-même déifié, a également divinisé Néfertari. On peut voir dans le petit temple d'Abou Simbel la scène représentant la divinisation de la reine. Elle montre Isis et Hathor ajustant sa coiffe sur la tête de Néfertari. Celle-ci tient dans la main gauche son sceptre de reine, mais dans la main droite "la croix de vie, que seules les divinités sont habilitées à posséder". Ainsi, après avoir assimilé sa mère à la déesse Mout, s'être proclamé fils d'Amon et s'être fait dieu, Ramsès divinise aussi sa bien-aimée.

Néfertari donna plusieurs fils à Ramsès mais aucun ne survécut à l'exceptionnelle longévité de leur père. Leur premier fils, Amonherkhépeshef, était considéré comme le prince héritier pendant une grande partie du règne de son père, avant son décès précoce en l'an 53.
Néfertari est également la mère de Mérytamon - la "Reine Blanche" - qui deviendra Grande épouse royale à son tour en épousant symboliquement son père. Après la mort de Néfertari en l'an 30 du règne, Ramsès - qui l'avait appelée dans une inscription "celle pour qui brille le soleil" - écrivit dans un poème : "Mon amour est unique, et personne ne peut rivaliser avec elle. En mourant, elle a volé mon cour". En dernier hommage, Ramsès fit construire dans la Vallée des reines la plus belle tombe que l'on ait découverte à ce jour en Égypte.

L'AIMÉE DE RAMSÈS : Elle est célèbre pour avoir partagé durant 20 ans la vie de Ramsès II, grand guerrier et bâtisseur du Nouvel Empire. Ramsès II est l'un des rares pharaons à avoir eu en permanence deux grandes épouses royales, mais Néfertari, épousée à la même époque qu'Isisnéfret, fut la favorite, l'élue de son cour. Et, la première à lui donner un fils.
Le pharaon lui-même n'est pas de sang royal. Son père, Séthi I, ancien général, le pourvoit d'un harem dès son adolescence, comme on le lit sur une stèle d'Abydos : "Il me fournit ensuite toute une maisonnée issue du harem royal, emplie de "beautés" du Palais ; il choisit pour moi des épouses et des concubines élevées dans le harem"... Ramsès II continuera tout au long de sa vie à enrichir sa collection d'épouses, se flattant d'être le père d'une centaine d'enfants ayant dépassé les premières années de vie. Il reste 66 ans à la tête de l'Égypte. Pendant le premier tiers de ce long règne, Néfertari apparaît sans cesse auprès de lui, l'accompagnant même, en l'an 5 de son règne, sur les bords de l'Oronte pour la bataille de Qadesh contre les Hittites, durant laquelle il semble qu'elle ait failli être capturée. Quand les deux pauples se réconcilieront, Néfertari correspondra avec la reine des Hittites, Poudoukhépa. Des missives d'un style guindé, diplomatique, qui ne laissent rien deviner de sa personnalité, mais révèlent tout de même, selon Christian Leblanc, que des relations se nouent entre les deux reines.
Cette présence constante auprès de son époux se manifeste dans les monuments qu'il lui consacre. Même si Ramsès II désigne plus tard comme grandes épouses royales plusieurs de ses filles, et même une étrangère, du roi des Hittites, c'est pour Néfertari qu'il fait bâtir les plus impressionnants. A part Tiy, épouse d'Amenhotep III, aucune autre reine ne peut se vanter de léguer autant de temples, statues et reliefs à son nom. Célèbres entre tous, les 2 temples creusés dans la falaise d'Abou Simbel et sauvés des eaux par Christiane Desroches Noblecourt lors de la construction du barrage d'Assouan, en 1970. Deux figures de sept mètres de haut émergent, l'une représentant la reine qui surgit comme à l'aube d'une journée radieuse : elle incarne l'étoile Sothis et appelle le Soleil au début de l'année. Ramsès II incame pour sa part le Soleil au-dessus de l'entrée du grand temple voisin. Les axes des deux temples ne sont pas parallèles, mais se rejoignent pour un hymen rituel au milieu du Nil : Ramsès en soleil levant et Néfertari-Sothis, resplendissante. Dans l'antichambre du petit temple, Néfertari apparaît sculptée sur un mur, transformé en déesse : elle reçoit des déesses Hathor et Isis la haute coiffure de Sothis et, à sa main, pend la croix de vie "ankh", objet que seules les divinités peuvent posséder. Sur les murs des deux temples, les filles de Néfertari et d'Isisnéfret sont également représentées. Pour Christian Leblanc, cette présence atteste de l'importance prise au Nouvel Empire par les femmes.
Néfertari eut au moins 2 filles et 4 garçons. Après 20 ans de vie commune avec Ramsès II, elle disparaît des représentations officielles.

Pour l'inauguration d'Abou Simbel, c'est Méritamon, une fille de Néfertari, qui accompagne le roi : a-t-elle déjà remplacé sa mère ? Néfertari n'assiste pas aux fêtes célébrant les 30 ans du règne du pharaon. On suppose qu'elle est morte.

Sans savoir de quoi, car sa momie n'a pas été retrouvée. Mais, pour elle, Ramsès II fit construire le plus beau tombeau de la vallée des Reines.

HATCHEPSOUT : LA FEMME FAITE ROI

Elle s'afficha en homme, arborant le pagne royal et la barbe postiche. On l'a dite ambitieuse et absolutiste. Mais sous son règne, l'Égypte prospéra.

Cette tête monumentale (<-) provenant du temple de Deir el-Bahari montre Hatchepsout avec des attributs masculins, la barbe postiche et la couronne de Haute-Egypte. Sa peau est sombre comme celle des hommes, mais ses traits restent délicats et féminins.

Puissant et harmonieux, d'une couleur ocre qui se confond avec la roche du désert, le temple de Deir el-Bahari (->), construit à Thèbes par Hatchepsout, surgit au pied de la falaise comme s'il en était le piédestal naturel. Ses terrasses invitant à la méditation, ses statues colossales dégagent une force paisible, et en font l'un des plus beaux et émouvants monuments de l'Égypte pharaonique. Si le règne d'Hatchepsout fut à l'image de ce temple, alors la femme pharaon peut reposer en paix. Mais les chroniques anciennes évoquent une vie, et plus encore une postérité, mouvementées.
Fille de Thoutmosis I et d'Ahmès, Hatchepsout est née vers 1495 av. J.-C.. Son père devint pharaon quand elle avait 9 ans et l'aurait placée très vite sur la scène publique. Dans un texte découvert dans la Chapelle rouge qu'elle fit construire dans le temple de Karnak, elle raconte une cérémonie officielle à laquelle elle participa dès la deuxième année du règne de Thoutmosis.
A 18 ans, elle épouse son dernier demi-frère, appelé lui aussi Thoutmosis. Elle met au monde une fille, Néférouré. Une vie somme toute banale de dame royale. Son père meurt, son mari, Thoutmosis II prend le pouvoir pour quelques années puis décède à son tour.

Sous son règne apparaît le terme de pharaon. Comme Hatchepsout n'a pas de fils, la couronne passe à Thoutmosis III, né dans le harem royal d'une épouse appelée Isis. Mais il est trop jeune pour régner, sa mère n'est pas assez noble pour assurer la régence. Le rôle revient à Hatchepsout.
Les premières années, la reine se comporte comme une régente classique. Elle semble travailler pour préparer le règne de son neveu, le faisant représenter sur les monuments en adulte dans sa fonction royale. Mais des signes annoncent la suite : Hatchepsout preud le titre de maitresse des Deux Terres, commande une paire d'obélisques pour l'entrée du temple d'Amon de Karnak. Des ouvres coûteuses, difficiles à tailler et à ériger. Mais rien n'est trop beau pour Amon à qui elle doit tout. Elle fait graver ses nouveaux titres sur les monuments, avec le message suivant : Amon, son père divin, accepte son pouvoir. Sept ans après la mort de son mari, Hatchepsout est couronnée "roi d'Égypte". Y eut-il des résistances ? On n'en a pas trouvé de traces. Elle déclare qu'elle est la fille adorée et l'héritière désignée du révéré Thoutmosis I, et celle du grand dieu Amon. Une série d'oracles se répand dans le pays pour confirmer sa nature royale et divine. Elle fait, raconter sur les murs des temples que le dieu Amon est tombé amoureux d'une splendide reine d'Égypte, qui n'est autre que sa propre mère, Ahmès, choisie pour porter la fille du démiurge, fille destinée à régner sur l'Égypte...
Les premières années, Hatchepsout se fait représenter tour à tour en femme conventionnelle et en femme habillée en roi, puis des représentations plus masculines apparaîssent. Deux statues trouvées à Deir el-Bahari la montrent portant la coiffe des pharaons et le pagne royal, mais avec un corps de femme, des seins et une taille fine. Sur d'autres figures, elle arbore la barbe postiche, attribut du roi et symbole de sa puissance. Elle occupe le trône avec son jeune neveu. "Le mot pharaon naît à cette époque, de cette étonnante et unique corégence", note Christiane Desroches Noblecourt. Per-âa est en effet le terme qui évoque la résidence où trônaient Hatchepsout et son beau-fils Thoutmosis III. Il remplace bientôt leurs noms et prénoms, devient pharâa puis pharaon, mot utilisé aujourd'hui pour tous les rois, même antérieurs. Plus tard, Hatchepsout se montrera dans un corps masculin, mais avec des noms féminins. Les égyptologues en perdront leurs hiéroglyphes !
En tant que "roi d'Egypte", Hatchepsout a besoin d'une reine. Ce sera sa fille Néférourê, qui devient "épouse du dieu Amon". L'éducation de Néférourê est confiée notamment au Nubien Sénenmout, le plus influent des conseillers d'Hatchepsout. Il se définit sur un graffito trouvé à El-Mahata (Assouan) comme "le grand ami qui remplit le cour de l'épouse du dieu qui apaise la maitresse des Deux Terres". Sénenmout fut-il l'amant de la reine ? Etait-ce un arriviste ou lui fut-il réellement attaché ? Les historiens se perdent en conjectures. Christiane Desroches Noblecourt pose la question: "A tous ces témoignages débordants d'attachement, Hatchepsout n'a-t-elle répondu que par l'attribution honorifique de plus de 93 titres officiels différents ? S'est-elle seulement laissée adorée telle l'étoile lointaine, inaccessible, évoquée par Sénenmout au plafond de son caveau, funéraire ?"

UNE SECONDE MORT. La souveraine fut très active, menant des campagnes militaires victorieuses pour soumettre les peuples du Sud et de l'Est, développant le commerce du bois, du cuivre, de la turquoise, organisant des expéditions commerciales, dont la fameuse expédition du pays de Pount (vers l'Ethiopie actuelle) pour en rapporter de l'ébène, de l'ivoire et de l'or. Mais son plus grand titre de gloire fut son ouvre architecturale. Hatchepsout fait élever des monuments somptueux, le plus grandiose étant son temple de Deir el-Bahari, réalisé par Sénenmout. Et elle ouvre dans la montagne thébaine (face à l'actuel Louqsor) la vallée des Rois.
Elle choisit d'y agrandir la tombe de son père, pour reposer auprès de lui. Plus tard, Thoutmosis III fera creuser une nouvelle sépulture pour y transférer son glorieux ancêtre Thoutmosis I. D'Hatchepsout, on ne retrouvera, des millénaires plus tard, qu'un sarcophage vide, un coffre et des fragments de meubles. Plusieurs dépouilles lui seront attribuées. Jusqu'à la spectaculaire identification, en 2007, de sa momie... grâce à une dent (->) !
La "pharaonne" serait morte en l'an 22 de son règne. Dès lors, Thontmosis III gouverne seul, pendant 33 ans. Advient alors ce qui demeure un grand mystère : 20 ans après la mort d'Hatchepsout, on s'acharne sur son image. Dans son temple de Deir el-Bahari, des statues à son effigie sont brisées. Sur les parois, les dessins sont martelés au burin, et l'on a même tenté de murer ses obélisques ! Les égyptologues ont longtemps pensé qu'il y avait là une volonté de provoquer une seconde mort de la souveraine dans l'au-delà, dont Thoutmosis III serait le responsable, twp content d'en finir avec celle qui lui avait fait de l'ombre. Sauf que rien n'indique qu'il haïssait sa belle-mère. En tant que chef des armées, il aurait pu la détrôner de son vivant. De surcroit, l'effacement dont elle a été l'objet ne fut pas systématique. Reste l'hypthèse que Thoutmosis ait voulu la faire disparaitre en tant que roi pour ne laisser dans l'histoire que les traces d'une régente. Comme si le rôle de pharaon ne pouvait revenir qu'à un homme. SYLVIE BRIET

AHHOTEP : LA GUERRIÈRE

Le pouvoir subversif des "pharaones". En 3000 ans de civilisation égyptienne, elles furent 4, peut-être 5 à avoir régné à l'égal des hommes, et une seule, Hatchepsout, est encore connue. Mais leurs successeurs ont effacé leurs traces, et l'histoire les a oubliées.

Mère d'Ahmosis, le fondateur de la XVIIIe dynastie, Ahhotep fut l'une des plus puissantes reines mères et, semble-t-il, la première femme à porter le titre "épouse du dieu". Son fils étant encore un enfant à son accession au pouvoir, elle assuma la régence. Une inscription sur la stèle d'Ahmosis à Karnak nous présente le bilan de son règne : "Glorifiez la dame du pays, la souveraine des rives des Haou Nebout, dont haut est le renom sur toute terre étrangère... Elle lie l'Egypte... Ceux qui l'avaient fuie reviennent vers elle, elle embrasse ceux qui s'étaient détournés d'elle, elle qui avait pacifié le Sud en écrasant ceux qui l'affrontaient". Une inscription étonnante pour l'égyptologue Pascal Vernus : "En général, celui qui protège l'Egypte, qui expulse les déserteurs, qui pacifie le Sud, c'est le pharaon. Ahhotep a eu un pouvoir tellement important qu'il est décrit dans les termes utilisés pour qualifier celui du roi". Elle a joué un rôle crucial à une époque très difficile, en pleine lutte de libération nationale".
Le pays étant alors contrôlé par les Hyksos, les pharaons voulurent reprendre le pouvoir au sud, dans la région de Thèbes. Ahhotep a certainement contribué à la reconquête. Mais des doutes subsistent sur son rôle exact, car une autre dame royale nommée Iahhetep a été trouvée au pied de la nécropole thébaine de Dra Abou el-Naga en 1859 lors de fouilles conduites par Mariette. Dans son cercueil, il y avait tout un arsenal guerrier, assez inattendu dans une tombe féminine : un brassard d'archer en or, une hache, des hachettes, des dagues et un bâton de commandement. La valeur des bijoux qui s'y trouvaient également montre qu'il s'agissait d'une tombe royale. Mais cette défunte ne porte pas le titre de mère du roi, et il semble qu'elle soit décédée avant la fin du règne d'Ahmosis, ce qui est incompatible avec la longévité connue de la mère de ce pharaon. "En l'état actuel des connaissances, conclut l'égyptologue Christophe Barbotin, il est impossible d'identifier les deux personnes, et aucun document objectif ne permet d'établir la nature exacte du lien de parenté qui aurait pu les unir".
D'autant qu'en 1881, on découvrait dans la cache de Deir el-Bahari (lire plus bas, la recherche des reines disparues) le cercueil gigantesque d'Ahhotep : mesurant plus de 3 mètres de longueur, il porte le titre de "mère du roi, Ahhotep", mais la momie qu'il renfermait a disparu. Ce cercueil est de la même taille et de la même typologie que celui de la fille d'Ahhotep, Ahmès-Néfertari (->), au prestige tout aussi impressionnant. Après sa mort, Ahhotep est devenue l'une des déesses tutélaires de la nécropole thébaine, autre preuve de sa popularité.

CLÉOPÂTRE : LA REINE DES GÉNÉRAUX

Elle a séduit César et Marc Antoine, s'est donné la mort pour échapper à Octave. Avec elle se sont éteints trois mille ans de civilisation pharaonique.

"On prétend que sa beauté, considérée en elle-même, n'était pas si incompamble qu'elle ravit d'étonnement et d'admiration, mais son commerce avait un attrait auquel il était impossible de résister ; les agréments de sa figure, soutenus des charmes de sa conversation et de toutes les grâces qui peuvent relever d'un heureux naturel, laissaient dans l'âme un aiguillon qui pénétraît jusqu'au vif". Cléopâtre ou l'absolu féminin... C'est un homme qui, pourtant, ne l'aime guère qui trace d'elle cette irrésistible portrait, l'historien Plutarque.
Descendante de la lignée macédonienne des Ptolémées et héritière, selon les mots de Michel Chauveau, égyptologue à l'Ecole pratique des hantes études (EPHE), d'une "lignée de femmes volontaires", la plus célèbre des reines d'Egypte hante l'imaginaire de notre monde occidental depuis l'Antiquité. A la Renaissance, la traduction du récit de Plutarque embrase les imaginations. La séductrice, mais aussi la vénéneuse, alimente au fil des siècles production littéraire et picturale, avant d'être immortalisée au cinéma, en 1963, par Elizabeth Taylor dans le film de Joseph Mankiewicz. Une postérité paradoxale, tant sont ténus les témoignages directs la concernant. Une soixantaine d'auteurs grecs et latins l'évoquent, parmi lesquels Strabon, Cicéron, Suétone ou encore Dion Cassius, mais essentiellement par bribes, lorsqu'ils abordent l'histoire de Rome et détaillent, le rôle qu'y ont joué ses principaux acteurs. Un portrait en creux, et plutôt défavorable. Victime de la propagande de Rome, Cléopâtre VII Philopator, "qui aime son père", est en effet la cible de nombreuses attaques. Maitresse de Jules César, amante de Marc Antoine, n'a-t-elle pas successivement fait perdre la têtc à 2 des plus puissants chefs de l'empire ?
"On ne sait pas même de qui elle est la fille", avoue Michel Chauveau. D'après le géographe Strabon, son père Ptolémée XII aurait eu une seule fille légitime, Bérénice IV. Cléopâtre, née vers 69 av. J.-C., ne serait donc, avec ses autres frères et sours, que la bâtarde d'une concubine, et non l'enfant de Cléopâtre VI Triphaena. On ne sait pas non plus si elle était vraiment belle. Des profils disgracieux retrouvés sur des monnaies grecques à son effigie (->), sans doute plus fidèles que les statues qui lui sont attribuées, laissent supposer que son visage était plutôt austère. Mais, explique Michel Chauveau, qui a tenté de retrouver la Cléopâtre historique derrière le mythe, c'est de la pauvreté des sources qu'a pu naître l'icône : "La richesse évocatrice des rares anecdotes qui la concernent a largement compensé l'absence d'une narration suivie".

ALEXANDRIE EN FLAMMES : Cléopâtre entre sur le théâtre de l'histoire à l'occasion de la guerre sans merci que se livrent les 2 chefs de guerre romains Jules César et son beau-frère Pompée. A l'autonme 48 av. J.-C., Pompée tente de trouver refuge chez son allié égyptien Ptolémée XIII. Mais le pays est livré à l'anarchie et la révolte après la désastreuse gestion du père de Cléopâtre, Ptolémée XII. Pompée, trahi par des Egyptiens qui veulent s'attirer les bonnes grâces du vainqueur des Gaules, est assassiné.
César, à sa poursuite, découvre un pays où un frère-époux, Ptolémée XIII, encore un enfant, s'oppose à sa sour ainée Cléopâtre VII, qu'il a chassée du pouvoir quelques mois plus tôt, l'obligeant à chercher asile en Syrie voisine. Exigeant leur réconcilialion, César n'obtient finalement qu'un conflit supplémentaire, le jeune Ptolémée réticent affrontant ses troupes à l'armée romaine assistée des soldats de Mithridate de Pergame et de quelques cohortes juives d'Antipater, père du futur Hérode. César décide d'incendier la flotte égyptienne dans le port d'Alexandrie, la métropole la plus brillante de Méditerranée. Destruction qui entrainera celle de la légendaire bibliothèque.

LIVRÉE À CÉSAR DANS UN TAPIS : L'Egypte devient protectorat romain. Mais Cléopâtre, fine stratège, a su s'attirer les bonnes grâces de César. Et cela, grâce à une ruse rocambolesque décrite par Plutarque. Pour atteindre le dictateur, dont le palais héberge ses enmemis, elle s'est faite livrer dans ses appartements privés roulée dans un tapis. Le goût de César pour les jolies femmes est connu. Cléopâtre y ajoute l'intelligence. Elle devient sa maîtresse.
Après la de son mari Ptolémée XIII dans des circonstances peu claires, la reine épouse un autre de ses frères, Ptolémée XIV. Ce qui ne l'empêche pas de se rendre à Rome en 46 av. J.C., à l'invitation du dictateur. Cléopâtre y serait restée 2 ans. La relation de la souveraine égyptienne avec le puissant chef romain, qui n'est pas du goût de tous, aboutit, provocation suprême, à l'érection d'une statue de Cléopâtre dans le sanctuaire de Vénus, en plein cour du forum ! Mais en 44 av. J.C., César est assassiné. Cléopâtre perd son plus précieux soutien. Une situation d'autant plus dramatique que de leur union est né un petit Césarion, futur Ptolémée XV. Elle doit le soustraire aux intrigues de la cour car selon la loi romaine, le nouveau-né est illégitime. Contrainte de rentrer en Egypte, la reine en profite pour faire occire son frère, Ptolémée XIV, qui lui servait d'époux fantoche. Par ce geste, sans doute, elle annihile, en l'anticipant, la rivalité potentielle qui aurait pu surgir avec son fils. Mais avec ce crime polilique, elle renoue aussi avec les scènes tragiques dont elle a si souvent été le témoin au cours de son enfance dans une famille royale où les homicides étaient perçus comme nécessaires, au même titre que la ruse ou la subornation.
La reine d'Egypte sait qu'elle doit se trouver un nouveau protecteur. A la mort de César, ses représentants spirituels, Marc Antoine, Lépicle et Octave, ont formé un triumvirat. Ils se partagenr les provinces de l'Empire. Pour défendre l'Egypte, Cléopâtre choisit de se mettre sous la protection du plus puissant d'entre eux, Marc Antoine, qui a reçu l'Orient. En 41 av. J.C., une rencontre prévu dans le port de Tarsa, en Cilicie, dans le sud de l'actuelle Turquie, va lui en offrir l'occasion.
Après le "coup du tapis" fait à César, elle déploiera pour Antoine tous les sortilèges de l'Orient, portant selon les mots de Michel Chauveau a son destin au niveau du mythe". Sur un navire de bois précieux, Cléopâtre fait voile vers la cité méditérranéenne. Le bâtiment ruisselle d'or. Les rames plongeant dans les eaux limpides du fleuve Cydnus sont d'argent. Les voiles claquent au vent, de toile pourpre. Ebloui par cette apparition, le général succombe... Il ne s'agit plus d'Antoine et Cléopâtre mais, selon Michel Chauveau, de "Dionysos rencontrant Aphrodite". Antoine accepte de venir résider à Alexandrie. La liaison qui débute durera plus de 10 ans. En naîtront des jumeaux, un heureux présage en Egypte : Alexandre Hélios et Cléopâtre Séléné, "Soleil" et "Lune". Suivis, quelque temps tard plus d'un troisième enfant.
Pour Rome - où Antoine est toujours marié à son épouse légitime, Octavie -, c'en est trop ! Octave, le petit-neveu de César, écume, tout en concentrant ses attaques contre la seule souveraine d'Egypte. Une façon d'épargner Marc Antoine, présenté comme une pauvre victime sous influence. Car la plèbe romaine aime son glorieux général. Jusqu'au jour où elle apprend que le héros souhaite qu'après sa mort, sa dépouille demeure en terre égyptienne, auprès de sa bien-aimée. Ce n'est qu'à cet instant que les 2 souverains sont unanimement condamnés, raconte Michel Chauveau. Depuis Rome, Marc Antoine est désinvesti de ses fonctions politiques. Dès lors, la guerre est inéluctable. En 31 av. J.C., les 2 armées sont face à face. "C'est Rome contre Cléopâtre, mais aussi la rigueur de la République contre le luxe et les mours corrompues de l'Orient", note Christiane Ziegler. Pour l'Egypte, un désastre naval s'annonce. La bataille d'Actium est une débâcle qui va entraîner la fin du général.

LA MORSURE DE L'ASPIC : La suite des événements nous est connu grâce à Plutarque et Dion Cassius, qui auraient eu accès aux mémoires du médecin personnel de Cléopâtre. Rentré à Alexandrie, abusé par la fausse rumeur de la mort de sa bien-aimée, Antoine se suicide. A l'âge de 39 ans, Cléopâtre s'enferme alors dans un tombeau. Elle aurait mis fin à ses jours aux alentours du 12 août 30, dans des conditions qui demeurent toujours mystérieuses. Virgile, Horace et Properce, embellissant le mythe d'un nouvel épisode, évoquent la morsure d'un aspic. Pour Michel Chauveau, l'explication serait tout autre. "Le venin de serpent ne garantit pas la mort, à l'inverse du poison, dont les Egyptiens maitrisaient totalement l'art. L'utilisation d'un reptile est terriblement poétique, mais trop aléatoire". Le spécialiste a sa petite idée, née de l'étude du texte du triomphe d'Octave. "A cette occasion, une slalue censée figurer Cléopâtre a été transportée dans les rues de Rome. En réalité, il s'agissait d'une représentation d'Isis, un serpent enroulé sur le bras. Pour moi, cet événement est à la source du mythe, la vision de la statue ayant entrainé une confusion dans l'esprit des Romains".
Octave, le futur Auguste, aurait accordé des funérailles royales à la défunte... tout en faisant assassiner son fils Césarion la même année. Quant à Cléopâtre, la dernière des reines d'Egypte, sa mort scellera après 22 ans de règne l'histoire de l'Egypte des pharaons et ses 3000 ans d'existence. BERNADETTE ARNAUD

OÙ SONT ANTOINE ET CLÉOPÂTRE ?
"Etendue sur un lit d'or, somptueusement parée et serrant contre elle les insignes de ses ancêtres, tant pharaoniques que macédoniens" : c'est ainsi qu'Octave aurait retrouvé le corps de Cléopâtre, d'après Dion Cassius et Plutarque. Mais où fut-elle enterrée ? Personne ne le sait. Même question pour les restes de Marc Antoine. Rome est-elle rentrée en possession des cendres de son héros ? Ou alors, ayant renié sa romanité, Antoine s'est-il fait embaumer à l'instar de sa reine, pour être déposé près d'elle ? "Le corps d'Antoine a sans doute été rapatrié en Italie par Octave, et enterré dans son mausolée familial, pense Michel Chauveau. Je ne crois pas que sa dépouille soit restée en Egypte".
C'est une tout autre piste que suit Zahi Hawass. Pour le directeur du Conseil supérieur des Antiquités égyptiennes, non seulement les corps des deux amants se trouvent toujours dans le pays, mais il pense savoir où. Sans dévoiler sur quoi repose son hypothèse, il concentre ses recherches du côté de Taposiris Magna (Abousir), à 30 kilomètres d'Alexandrie. L'an dernier, des statuettes et des pièces de monnaie à l'effigie de Cléopâtre ont été exhumées. Prémices d'une découverte époustouflante ? B.A.

Vies de Femmes

Quelles soient princesse ou paysanes, au harem ou au foyer, les Égyptiennes jouissaient d'un statut unique dans le monde antique.

ÉPOUSES ET CONCUBINES : le "harem" de Pharaon

Loin du gynécée à l'orientale, le harem égyptien est une véritable institution, gérant terres et pêcheries, où vivent toutes les parentes et alliées du roi.

LA CONSPIRATION DES FAVORITES

Vers 1153 av. J.C. le harem de Ramsès III complote contre son roi. Le compte rendu du procès révèle un univers inattendu, où l'on s'affronte à coups de philtres et formules magiques.

Dans l'air du soir, saturé du parfum sucré des caroubiers, les femmes du harem échangent à voix basse les dernières nouvelles. Khâemopet et Karpous, contrôleurs du harem itinérant, auraient entendu le chambellan Pabakkamen demander au magicien en chef des figurines de cire pour "rendre sans force des membres humains", afin de neutraliser les gardes. Heureusement, chuchotent les conspiratrices, les contrôleurs n'ont rien dit. Pouvait-il en être autrement ? Le directeur du harem, Panik, est l'un des meneurs du complot... On a vu aussi, à l'ombre des sycomores, l'épouse secondaire Tiyi, âme de la conjuration, parler à Pendaou, scribe de la chambre royale du harem itinérant, de son fils Pentaour qu'elle entend placer sur le trône à la place de l'héritier désigné. Et l'une des favorites du roi passer ce message à son frère, chef des archers : "Rassemble des hommes, prends les armes et viens pour faire rebéllion contre ton maitre". On dit encore que 2 ministres auraient accepté de rejoindre les rangs des conjurés : le chef du Trésor Payiri et le directeur du bétail Penhouybin.
La conspiration a donc toute chance de réussir. Le moment est propice. Après 32 ans d'un règne difficile, ici guerroyant pour défendre l'empire, là s'affrontant à des ouvriers en grève, le Grand Roi, Ramsès III, est fatigué... Mais le complot sera découvert, ses protagonistes poursuivis et jugés. En même temps d'ailleurs que plusieurs des juges, condarnnés à avoir le nez et les oreilles tranchés pour s'être laissé circonvenir par certaines des accusées lors d'une partie fine ! C'est grâce au compte rendu du procès, parvenu jusqu'à nous sous la forme de plusieurs papyrus (papyrus judiciaire de Turin, papyrus Lee, papyrus Rollin...), que nous connaissons ce qu'on appelle la "conspiration du harem". Dans les annales de l'Egypte antique, c'est un cas unique, et frustrant. Unique, car si le pays a connu d'autres complots avérés contre un pharaon (Pépi ll, Aménemhat I) c'est la seule fois que nous est parvenue une liste détaillée des condamnés mentionnant actes commis et châtiments. Frustrant, car ces documents sont d'une imprécision exaspérante. Le lecteur moderne veut savoir et comprendre. Le rédacteur du procès-verbal a, lui, des visées théologiques et politiques : démontrer toute l'horreur d'un complot s'attaquant à un "fils du dieu", et l'inéluctabilité de son échec ; et dédouaner Ramsès III des peines de mort infligées aux conjurés. Les comploteurs ont provoqué leur propre châtiment : "Leurs fautes s'emparèrent d'eux". Mais les morts pourraient ne pas être d'accord. Pour l'égyptologue Yvan Koenig, "le texte avait comme fonction de protéger magiquement le roi dans l'au-delà de toute vengeance éventuelle des condamnés". Magiquement. Dans cette ténébreuse affaire, la magie est en effet la composante essentielle. Magie, la protection dont le roi devait être entouré. Mais à magie, magie et demie ! Et Messoui, scribe de la propre bibliothèque de pharaon, d'y voler un grimoire pour en extraire les plus puissantes formules d'envoûtement. Magie encore, les noms de certains des conjurés, changés en surnoms infamants afin, selon Pierre Grandet, qu'ils ne puissent pas vivre dans l'autre monde. Magie enfin, les formules employées : Pabakkamen est appelé celui "dont Ré n'a pas voulu qu'il soit chambellan". En affirmant qu'un fait avéré ne s'est pas produit, on nie son existence. Les questions restent nombreuses : quel a été le sort de la reine Tiy, absente des listes des condamnés ? Pourquoi un conjuré s'en est-il tiré avec une simple réprimande ? Et surtout, Ramsès III est-il mort des suites de ce complot ? Sa momie ne porte pas de traces de coups. Mais la mandragore, abondante dans les jardins égyptiens, a pu faire son ouvre empoisonnée sans laisser de traces... Une seule chose est sûre : c'est à la même période que, selon la formule annonçant la mort du roi, "le faucon s'est envolé vers le Ciel".

LES VIRGINALES ADORATRICES D'AMON

Durant plus de 1000 ans, ces prêtresses jouent un rôle prépondérent, jusqu'à acceder à une partie du pouvoir royal.

En 1881 on découvre dans la cache de Deir el-Bahari le cercueil de Maâtkarê, princesse de la XXIè dynastie. Épouse divine d'Amon, vouée au dieu solaire et au célibat, elle est inhumée avec un petit corps momifié, celle d'un babouin, son animal favorit...

LE ROYAUME DE LA LIBERTÉ

L'ÉGYPTE : ROYAUME DES FEMMES LIBRES

Cinq mille ans avant le féminisme, les Égyptiennes pouvaient librement divorcer et léguer leurs biens. Un sort enviable, même si leur vie était rude.

"Ô Isis... C'est toi la Maitresse de la Terre. Tu as rendu le pouvoir des femmes, égal à celui des hommes". C'est dans un long hymne à Isis découvert sur le papyrus d'Oxyrhinchos (IIè siècle av. J.C.) qu'apparaissent ces étonnantes paroles. Elles témoignent d'un statut féminin exceptionnel au temps des pharaons, statut qui ne fut pas limité à l'univers des mythes et poésies. Auteur d'une Chronique des reines d'Égypte, l'égyptologue Joyce Tydelsey souligne en effet qu'alors "hommes et femmes de même statut social sont à égalité aux yeux de la loi. Les femmes possèdent, achètent, vendent et héritent de biens. Elles sont en droit de mener leur propre existence sans la protetion d'un homme et, en cas de divorce ou de veuvage, elles s'occupent seules de leurs enfants". Pour autant, "il n'existe pas, à proprement parler de loi sur le statut de la femme au temps de l'Antiquité égyptienne, mais nous avons de nombreux actes juridiques qui attestent qu'elle avait une indépendance économique et pouvait effectivement dirvorcer", précise Christiane Ziegler, du musée du Louvre.
Lors des fouilles menées dans les vestiges de Deir eL Médineh, village et nécropole qui accueillirent les artisans et ouvriers de la vallée des Rois, les archéologues ont ainsi mis au jour un document exceptionnel : les déclarations faites par une certaine dame Naunakhte devant le tribunal pour régler la succession entre ses héritiers. "Naunakhte, la vieillesse venue, n'avait pas rencontré auprès de tous-ses enfants un empressement égal à l'assister, explique l'égyptologue Pierre Grandet. Aussi avait-elle décidé de restreindre le legs de ses biens propres - c'est-à-dire, selon la loi égyptienne, le tiers des biens de la communauté qu'elle formait avec son époux - à cinq de ses enfants plus méritants, selon elle, et de déshériter les 3 autres". Un testament qui révèle une extraordinaire autonomie.
Parité donc, mais pas matriarcat. Le système égyptien est fondé sur la complémentarité des 2 sexes, aux antipodes de "l'ordre naturel" invoqné par les sociétés antiques voisines pour justifier l'inégalité entre hommes et femmes. Dès lors, on comprend l'étonnement d'Hérodote qui, visitant l'Egypte à la fin de la période dynastique, écrit à propos des riverains du Nil : "Ils ont aussi, en général, des coutumes et des lois contaires à celles du reste du monde. Chez eux, les femmes vont au marché et font commerce, les hommes gardent la maison et tissent... Les hommes portent les fardeaux sur leur tête, les femmes sur leurs épaules. Pour uriner, les femmes restent debout, les hommes s'accroupissent".
Pour certains spécialistes, c'est dans la déesse Isis, épouse courage d'Osiris et mère protectrice allaitant Horus assise sur son trône, que s'enracine le statut de la femme égyptienne de l'Antiquité. Il faut dire qu'Isis jouit, alors, d'un formidable culte. Vénération qu'atteste le splendide temple de l'île de Philae à Assonan (XXVIè dynastie)... Quoi qu'il en soit, durant près de 3000 ans, dans la double oasis linéaire qui borde le Nil, les femmes bénéficient d'un statut auquel bien de leurs semblables n'osent même plus espérer accéder en se début du XXIè siècle. Cette relative égalité s'exerce dans un monde essentiellement rural. Bien que vivant sur une terre fertile, elle est loin de l'opulence.

ESPÉRENCE DE VIE : 40 ANS. Ecrit au Moyen Empire par le scribe Khéli, ce texte est le premier représentant de ce genre visant à comparer, à leur désavantage, les activités humaines. On pent y lire, entre bien d'autres, ce constat sur l'état sanitaire du jardinier : Ses épaules sont accabléns comme par la grand âge ; son cou présente un énorme gonflement purulent. Lorsqu'arrive enfin le temps du repos, il est mort". Quant aux riverains du sacré, ils sont en proie au paludisme, à la bilharziose, aux épidémies de diarrhée, à la malnutrition, aux séquelles des harassants travaux des champs. Un banal mal de dents, une intoxication alimentaire, une appendicite, un accident dans l'une de ces carrières de granit de la région d'Assouan d'où sont extraits les obélisques, un accouchement difficile peuvent vite tomber au dramea. Les dépouilles des ouvriers des grands chantiers ensevelis à la va-vite, avec leurs fractures, leurs déformations osseuses en tout genre, attestent elles aussi, de la dureté des temps.

Les Âges de la Vie

DE LA FILLETTE À LA MAÎTRESSE DE MAISON

Il n'est pas simple de se faire une idée précise de la vie d'une Egyptienne, car elle nous est "racontée" essentiellement par les peintures et les papyrus retrouvés dans les tombes, les comptes rendus de procès, les poèmes et antres Sagesses édifiantes. Autant de documents qui, à l'exception notoire de la "Satire des métiers", n'évoquent guère que la minorité la plus aisée de la population. Un peu comme si les seules sources dont on disposait pour faire le portrait de la femm du WVIIè siècle se limitaient aux intrigues de la cour de Versailles et aux fables de La Fontaine ! Quelques indices permettent cependant de se faire une idée des grandes étapes de sa vie.

LA NAISSANCE : Lorsque l'enfant parait, même s'il appartient au sexe féminin, il est le bienvenu. Certes, la naissance d'un garçon reste une fierté plus grande encore, car seul le fils ainé peut assurer le service funéraire de son père. Mais dans ces temps où, sans doute, un bébé sur trois meurt avant sa venue au monde ou lors de l'accouchement, toute naissance viable est une bénédiction et une assurance contre une vieillesse misérable. Selon le papyrus Ebers rédigé sous Amenhotep I, l'un des plus anciens traités médicaux connus, il suffit que l'enfant prononce 'hii" à la naissance pour qu'il vive. Par contre, s'il dit "mbi", il mourra. Alors, psalmodie l'accouchée, entre autres incantations magiques : "Ô mon maitre, je ne donne pas cet enfant au voleur ni à la voleuse, venus du royaume des morts. Ils ne doivent pas prendre mon enfant, ô Ré, ô mon Maitre".
Aussitôt après la naissance, la mère de l'enfant lui donne un nom composé d'après les paroles qu'elle a prononcées au cours de l'accouchement. Ce "nom de la mère" peut ensuite être doublé d'un nom usuel. En guise d'état civil, la naissance est enregistrée au pers ânkh, la Maison de Vie, où officient les scribes, fonctionnaires de l'Etat.

L'ENFANCE : Nourrisson, la petite fille, comme dans toutes les sociétés traditionnelles, vit au contact de sa mère qui l'allaite et la porte dans un châle sur son dos, y compris quand elle travaille aux champs. Comme ses frères, l'enfant évolue nue, avec autour du cou un collier portant une amulette qui la défend contre les forces du mal. Jusqu'à 10 ans, l'âge de la puberté, sa tête est rasée, à l'exception d'une mèche tressée qui retombe sur le côté de son visage. Elle vit au milieu des animaux domestiques et, à partir du Moyen Empire, avec miyéou, un chat. Poupées de bois, de terre cuite ou de chiffon... sans le savoir, elle s'entraine déjà à assumer son rôle de mère et de maitresse de maison. Elle salue en plaçant les mains sur ses genoux.
L'éducation des filles se fait dans sa famille, où elle acquiert les règles morales de la société égyptienne, expliquées dans les Sagesses, textes édifiants rédigés sous forme de conseils. Par exemple, dans les Sagesses d'Ani - signataire d'un papyrus trouvé dans une tombe de la XVIIIè dynastie -, on peut lire : "Rends au double la nourriture que ta mère t'a donnée. Elle t'a donné le sein pendant 3 ans. Elle ne fut pas dégoûtée de ta malpropreté et ne se découragea pas". L'Egypte d'alors n'a évidemment pas de système éducatif public. Cependant, les Maisons de Vie assurent la formation des sesh, les scribes. Une fonction qui se transmet de génération en génération. Des enfants, dont quelques filles, y reçoivent une formation à "la baguette", fondée sur la répétition comme en attestent les nombreux ostraca, ces tessons de terre cuite où les élèves s'entrainent à l'écriture. Et puis, il y a les chanteuses, danseuses et prêtresses de divinités féminines, mais également, masculines. Enfin dès la IVè dynastie, il y a le cas de Peseshet, qui aurait été la première femme médecin au monde, si l'on en croit une stèle découverte à Giza.

LE MARIAGE : La quasi-totalité des filles a pour vocation de devenir maitresse de maison, et de mettre au monde un maximum d'enfants viables. Si de nombreux poèmes célèbrent l'amour et la femme, c'est sans cérémonie particulière que, vers 10-12 ans, elle se marie. Le mariage se résume à échangér, dovant témoins, des phrases : "Je t'ai faite ma femme". Ce qui n'empêche nullement que l'événement soit fêté comme il se doit.
Le mariage est scellé par différents types de contrats qui, en cas de divorce, assurent à la femme la propriété de sa dot et de ce qu'elle a acquis en propre tant que dura le couple. En l'absence d'encadrement juridiqne et d'interdit religieux, le divorce, dont l'un des motifs majeurs est la stérilité, est l'affaire du couple seul. Il n'en va pas de même pour l'adultère dont chaque défunt doit se disculper avant d'avoir droit à l'éternité. Quant à la polygamie et à l'inceste, ils sont privilèges royaux...

LA MATERNITÉ : Puis - louées soient Isis et la ceinture de cauris, coquillages symboles de la vulve et de la fécondité, portée depuis l'adolescence - arrive le temps de la grossesse. Un état vérifié entre autres tests, en imprégnant d'urine un échantillon d'orge et de l'ancêtre de notre blé dur, l'amiddonnier. Si aucun des grains ne germe, pas d'enfant. Si c'est l'orge : un garçon s'annonce. Si c'est l'amidonnier : une fille. Durant la grossesse, la future mère invoque volontiers Thouéris, déesse hippopotame de la Fécondité, ou le génie Bès, protecteur des femmes et des enfants. Le jour de la délivrance, il lui faut se concilier Khnoum, le potier divin, sous sa forme Shou, symbole de l'air que le bébé va respirer pour la première fois, "car c'est lui qui ouvre les lèvres de l'organe féminin et assure la naissance en sa forme d'Amon".
Quatre déesses président à cette naissance : Nephtys, sour d'Osiris et, Héket à tête de grenouille et Meskhénet, déesses des accouchements, et, bien sûr, Isis, protectrice des enfants. La parturiente s'accroupit sur quatre briques rituelles. Son ventre, sur lequel sont disposées des amulettes magiques, est massé avec de la poudre de safran ou de la poudre de marbre dissoute. Des fumigations peuvent accélérer la délivrance. Le placenta servira à confectionner des remèdes. Pendant 14 jours, la mère s'isole avec son nouveau-né pour se purifier. Conte tenue de l'extrême jeunesse des mères et de l'absence totale d'asepsie, de nombreuses femmes mourent en couches. Et pas seulement chez les pauvres. "C'est même le cas d'Henhénet, zme épouse du roi Montuhotep II de La XIè dynastiè (2065-2014 an av. J.-C.), dont la dépouille atteste qu'elle est morte sans avoir pu expulser son enfant", témoigne Christiane Ziegler. HERVÉ PONCHELET

Secrets de Beauté

DU KHÔL, DE LA MYRRHE ET DE L'ENCENS

Fards et parfums, pour embellir mais aussi soigner : Les Egyptiens avaient inventé une véritable pré-industrie cosmétique.

À LA MODE ÉGYPTIENNE

Corps qui s'affinent, robes et bijoux précieux : les peintures et sculptures dévoilent une féminité toujours plus sensuelle.

À la Recherche des Reines Disparues

Malgré des fouilles systématiques, les archéologues n'ont retrouvé aucune momies d'épouses royales dans la Vallée des Reines.

Elles sont là, exposées dans deux salles particulières du musée du Caire, en plus ou moins bon état : les momies des grands pharaons. Ahmosis, Amenhotep I, II et III, les Thoutmosis, les Séthi, les Ramsès... presque tous les rois du Nouvel Empire reposent sous l'oil fasciné des visiteurs, embaumés pour l'éternité. Des rois, oui, mais où sont passées les reines ? Si quelques grandes dames, dont la fameuse Hatchepsout, ont été identifiées, que sont devenues Tiy, Néfertiti, Méritaton, Touy, Néfertari, Isis et toutes les autres, épouses royales et mères de pharaons ? Mystère...
"Ô Roi, tu n'est pas parti mort, tu es parti vivant", lit-on dans les textes des Pyramides. "C'est sans pour renforcer cette fiction que le rituel de la momification a été mis en place", expliquent Françoise Dunand et Roger Lichtenberg dans leur ouvrage Les Momies et la mort en Egypte. "Préserver l'intégrité du corps royal, lui conserver autant qu'il était possible l'apparense de la vie, c'était se persuader qu'il n'était pas mort". Et que la continuité et la pérennité du pouvoir étaient assurées. La momification des rois débute vraisemblablement sous l'Ancien Empire (IV à VIè dynastie), qui nous a légué la première momie complète, celle du pharaon Mérenrê (2255-2246) de la VIè dynastie. A l'origine, et jusqu'au Moyen Empire (XII à XIVè dynastie), seuls le pharaon, sa famille et les hauts dignitaires en bénéficient.

CELLES QU'ON A RETROUVÉES

Dans la cachette de Deir el-Bahari 320 (DB 320)
- Ahmès-Néfertari, sour et grande épouse royale d'Ahmosis.
- Ahmés-Meritamon, sour et grande épouse royale d'Amenhotep I.
- Maâtkaré Moutemhat, divine adoratrice.

Dans la vallée des Rois, tombe KV6o
Hatchepsout, grande épouse royale de son frère Thoutmosis II.

Dans la vallée des Rois, tombe KV35
- Taousert, épouse de Séthi II, mais sans certitude, car la momie qui lui est attribuée n'a jamais été véritablement étudiée et analysée.
- Une autre momie dite de la "vieille dame" (Elder Lady) serait celle de Tiy, épouse d'Amenhotep III, mais, là encore, rien n'est sûr. "Il aurait été intéressant, note Christian Leblanc, de faire une analyse ADN en même temps que celles de ses parents. Leurs momies sont conservées au musée du Caire.

A.K. et B.L. - SCIENCES ET AVENIR HS N°157 > Janvier-Février > 2009
 
 

   

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