Monde Antique : Amérique du Sud

CARAL au Pérou : 4000 ans avant les Incas

LES CAHIERS DE SCIENCE & VIE N°106 > Août-Septembre > 2008

Les Pyramides de CARAL au Pérou : 2600 ans avant J.C.

Les Egyptiens ne sont pas les seuls inventeurs des pyramides. Celles de Caral comptent parmi les plus anciennes au monde. La cité péruvienne offre une vue imprenable sur les quarante siècles... qui précédèrent l'arrivée des conquistadors !

Une culture protohistorique spécialisée dans la construction de pyramides. A une époque où les premiers monuments de ce type voyaient le jour en Egypte. On parle de hasard ; on parle aussi de "synchronicité". D'où la question : tient-on là une preuve de contacts entre l'Amérique du Sud et l'Egypte, au début du troisième millénaire avant notre ère ?


Caral, il y a 4.600 ans. La cité est en effervescence. Des ouvriers transportent des sacs en fibres de roseau. Des chalands se pressent autour de pêcheurs venus vendre leurs prises. Sur l'autre rive de la Supe, des cultivateurs entretiennent des canaux d'irrigation. La présence de six grandes pyramides baignées de lumière blanche, entourées d'une trentaine de pyramides plus modestes, pourrait laisser supposer que cette scène se déroule en terre égyptienne. En réalité, elle se situe à des milliers de kilomètres du royaume des pharaons. Nous sommes en Amérique du Sud, dans l'actuel Pérou, à 200 km de Lima et à 23 km à l'intérieur des terres. Et Caral n'a rien à envier à Saqqarah : ses pyramides sont contemporaines de la fameuse pyramide à degrés du roi Djeser (IIIe dynastie, 2700-2620 av. J.-C.), que l'on supposait la plus ancienne au monde.

Les pyramides de Caral et la cité qui les abrite viennent d'être datées par une équipe d'anthropologues américains et péruriens qui publient le résultat de leurs recherches dans la revue Science (n°5517). Une série de datations au carbone 14 sur des fibres de végétaux prélevées dans les ruines de la plus grande des pyramides atteste que la ville fut fondée aux alentours de 2 600 ans avant J.-C. Pour Winifred Creamer, l'une des membres de l'équipe, Caral serait "le berceau des civilisations du Nouveau Monde".

Et pourtant, il a fallu attendre plus de 90 ans pour que soit soulevé un coin du voile recouvrant ledit berceau. Découvert en 1905, le site n'avait alors pas suscité l'intérêt des archéologues de l'époque, car il ne recelait pas de trésors "monnayables". Plus tard, dans les années 70, la guérilla menée par des opposants communistes puis par le groupe du Sentier lumineux interdit toute rechercheapprofondie.

Sacs en fibres de roseau

Or, depuis une dizaine d'annees, l'archéologie péruvienne met les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu. En 1994, Ruth Shady Solis, une archéologue américaine explorele secteur et découvre que les monticules de terre présents à Caral cachent en réalité les ruines de gigantesques pyramides. Elle en découvre une quarantaine, deux places circulaires encaissées dans le sol, un amphithéâtre, des petites maisons de pierre et de bois, le tout réparti sur 65 hectares. Une découverte pour le moins inattendue, qui sera complétée par des campagnes de fouilles dont la dernière vient de s'achever.
Les six grandes pyramides s'organisaient en cercle autour de l'immense place publique. Tronquées au sommet, de facture primitive, elles étaient bâties en terrasses étagées (dessin ->). Les murs porteurs en pierres taillées étaient recouverts de plâtre de teintes pastel. Des pierres et des galets provenant de la rivière étaient transportés dans des sacs en fibres de roseau et déposés tels quels pour combler les volumes internes de la pyramide. Ce sont ces sacs qui ont servi aux datations.

La cru Sainte

La pyramide principale, la "Piramide Mayor", possédait des dimensions vertigineuses. Sa base de 160 m par 150 m (l'équivalent de plus de trois terrains de football) soutenait l'ensemble de la structure haute de 18 mètres. Au sommet, une esplanade, accessible par un grand escalier, comportait un réceptacle destiné à entretenir les feux sacrés, ainsi qu'un petit bâtiment de plusieurs pièces construit en pierres volcaniques, assemblées avec du mortier. Dominant la grande place et visible de tous, cette terrasse était probablement utilisée pour des rituels religieux.
Il semble que toute la ville, la "ciudad Sagrada" (la cité Sainte), comme la surnomme Ruth Shady Solis, ait été fondée dans un but religieux. Situé au sud-ouest de la grande place, un complexe cérémonial surnommé le "Temple de l'amphithéâtre" rassemblait une place circulaire encaissée, de 29 mètres de diamètre, faisant face à une petite pyramide. Le temple possédait également une esplanade pouvant accueillir une vingtaine de personnes.
Sa construction ne fut possible qu'au prix d'une coordination des moyens et des hommes impliquant une grande organisation, une cohésion sociale forte, une société très hiérarchisée, avec ses bâtisseurs, ses artisans, ses maîtres d'oeuvre et d'ouvrage...
"Les habitants de Caral auraient commencé par établir des classes sociales", énonce Rocio Aramburù, le directeur des fouilles, dans un article de Newsweek du 7 mai 2001. Des bâtiments juchés au sommet des petites pyramides auraient hébergé les classes les plus influentes. Les classes moyennes se seraient logées dans des maisons d'adobe (brique de terre séchée au soleil). A la périphérie de la ville, des cabanes de bois, de rotin et de boue auraient servi à loger paysans, serviteurs, et tireurs de pierres pour la construction des temples.

Ces découvertes vont contraindre les historiens à réécrire plusieurs pages de l'histoire du peuplement du continent sud-américain. En effet, la plupart des spécialistes pensaient que les premières sociétés élaborées étaient apparues à proximité des côtes du Pacifique pour s'étendre ensuite vers l'intérieur des terres. Or, le site de Caral montre le contraire. A cette époque, beaucoup de peuplades andines vivaient dans de petits villages côtiers. Qu'est-ce qui a poussé ces pêcheurs à s'enfoncer dans des terres arides pour fonder la première grande ville du continent ? Les territoires traversés par la Supe étaient, certes, faciles à irriguer et ils offraient des terres fertiles pour les cultures de courges, de haricots ou de goyaves. Par ailleurs, Caral a prospéré pendant six cents ans (de 2627 à 2020 avant J.-C.) grâce à une économie fondée sur la culture du coton. A en croire Ruth Shady Solis, les habitants de Caral et les pêcheurs qui vivaient sur les côtes du Pacifique, à une vingtaine de kilomètres de la cité, échangeaient technologies, aliments et matières premières.

Caral marchandait son coton, fort utile pour la fabrication de filets de pêche, contre du poisson. C'est ce qui explique l'abondance d'arêtes de sardines et d'anchois fossilisés retrouvés dans la cité.

Offrandes humaines

Caral fut ainsi le centre névralgique de toute la vallée de la Supe, qui s'étend sur 90 km depuis la côte Pacifique jusqu'aux sommets des Andes et qui regroupe dix-sept autres sites précéramiques (antérieurs à l'apparition de la poterie). La civilisation de cette vallée a ouvert la voie aux Incas qui ont régné bien plus tard sur les Andes (du XIIIe au XVI siècle) jusqu'à l'arrivée des premiers Européens. Certes, aucun lien de parenté ne peut être établi entre les habitants de Caral et les Incas, que séparent plus de trois mille années. Cependant, la civilisation inca qui s'installa dans cette région partage quelques traits avec la civilisation de Caral. La vieille cité abrite en effet des restes d'offrandes humaines, notamment un bébé de moins de 1 an, enveloppé dans une natte de jonc et enterré sous un mur de la pyramide la plus à l'ouest. Les deux cultures ont également en commun l'utilisation de foyers destinés à brûler des offrandes... Dernière découverte de taille, qui complète ce surprenant inventaire, la mise au jour de deux monolithes oblongs de 1,70 m de hauteur, dressés sur les esplanades de l'amphithéâtre et de la pyramide Mayor. Ces pics de pierre, qui symbolisaient la prise de possession du premier ancêtre sur le territoire, fleurirent un peu partout au Pérou jusqu'à la conquête espagnole. Preuve s'il en est que Caral est une racine de la culture andine...

AUTRES PYRAMIDES

Autres pyramides, à l'autre bout du monde cette fois : en Chine.

Peu connues du grand public, les nombreuses pyramides chinoises suscitent actuellement auprès des spécialistes un engouement extraordinaire. Pour cet article, Steve Marshall a enquêté sur la fameuse "pyramide blanche" (->) de Xi'an.

Poursuivant sur le même sujet, Patrick Ferryn décrit minutieusement quelques-unes des ultimes demeures des Fils du Ciel, tertres pyramidaux qui forcent l'admiration, mais aussi pyramides en pierre découvertes ici et là sur la terre de l'Empire du Milieu. A la lecture de ce dossier, on s'aperçoit que le phénomène "pyramides" ne peut décidément se limiter à la vieille Egypte.

URIELL CEILLIER - SCIENCE & VIE > Juillet > 2001
 
 

   

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