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Monde Antique : ASIE - Cambodge

L'un des Grands Temples d'Angkor, le BAPHUON, va Renaître

Vieux de mille ans, un des fleurons de l'architecture khmère a pu être reconstitué au prix d'un gigantesque chantier qui, après bien des déboires, s'achèvera en mars. Classé au patrimoine mondial de l'humanité, le fragile temple-montagne du Baphuon avec sa pyramide de 35 m ouvrira en mars 2011.

Un symbole de l'ancienne capitale d'Angkor, le temple-montagne du Baphuon vieux de mille ans, va retrouver toute sa splendeur au mois de mars 2011 ! Doté d'une pyramide haute de 35 m enchâssée dans un réseau de galeries de plus de 100 m de côté, ce fleuron de l'architecture khmère gisait en partie démembré dans la forêt cambodgienne depuis quarante ans... Pour lui rendre son éclat, une campagne de restauration de très grande ampleur aura été nécessaire. Un chantier titanesque imposé par un problème de structure intrinsèque et par son histoire.
En effet, élevé au Xè siècle en l'honneur du dieu Shiva, ce temple-montagne avait dès le début révélé des signes de faiblesse. Le cœur de l'imposante pyramide centrale, composé de remblais, repoussait ses parois vers l'extérieur, déstabilisant l'édifice et entraînant régulièrement des éboulements. S'ils furent à chaque fois maîtrisés et les façades effondrées remontées, jamais le défaut originel n'a pu être corrigé... Jusqu'aux éboulements massifs de 1942 et 1949. Les archéologues français qui le restauraient proposèrent alors une solution radicale : une "anastylose générale", c'est-à-dire son démontage complet, pierre par pierre, et sa reconstruction !

UN PUZZLE À CIEL OUVERT

Le chantier, d'une ampleur unique au monde, est lancé dans les années 1960. En 1971, 300.000 pierres ont déjà été déposées sur 10 ha et un sarcophage est en cours de construction pour bloquer le remblai fautif... Mais la guerre civile oblige les archéologues à quitter le pays. À leur retour, en 1989, c'est la désolation : la forêt a repris ses droits et les plans dressés lors du démontage sont perdus. Il faut tout reprendre. Dès 1995, les archéologues relèvent ce défi sans équivalent. Ce trésor inscrit au Patrimoine mondial de l'humanité est un gigantesque puzzle qui, après seize ans d'efforts, voit enfin sa conclusion...

E.R. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2011

LE PLUS GRAND PUZZLE AU MONDE RECONSTITUÉ

300.000 pierres éparpillées dans la jungle : voici ce qui restait en 1995 du temple du Baphûon, Florent de la mythique cité khmère. 15 ans plus tard, il a retrouvé toute sa splendeur ! Retour sur un chantier hors norme.

Qui n'a jamais fait un puzzle ? Peiné à trier ces 300 pièces, un oil sur le modèle ? Une fois l'ouvre accomplie, il ne reste plus qu'à la démolir et à la ranger dans une boîte. Mais imaginez que vous ressortirez un jour ce puzzle... Pour constater que la boîte est détruite, les pièces abîmées et le modèle perdu ! à peine vous souvenez-vous d'un château se découpant sur un ciel bleu... Imaginez maintenant qu'il n'y est pas 300 pièces éparpillées sur la table, mais 300.000, disséminés sur 10 ha de forêt vierge. Que chacune pèse entre 500 kg et 2 tonnes. Qu'il vous fallait les assemblées en trois dimensions. Enfin que vous soyez obligés de réussir, le modèle à reconstituer n'étant plus l'image d'un château mais un temple tout entier, classé au patrimoine mondial de l'Unesco... Et dont les plans, pour ne rien arranger, ont été détruits ou perdus ! Eh bien cet indescriptible casse-tête, l'architecte Pascal Royère et l'Ecole française d'Extrême-Orient (EFEO) en sont venus à bout : à Angkor, en plein cour de la mythique capitale khmère, ils ont passé quinze ans à ressusciter pierre après pierre le Baphûon, temple-montagne caractérisé par sa forme de pyramide à degrés.
L'histoire commence il y a dix siècles. D'emblée, l'édifice sort du lot. "Il se distingue par ses dimensions spectaculaires : la pyramide centrale, d'1,5 ha d'emprise au sol, s'élève en trois gradins à 35 m de hauteur. Mais aussi par son style architectural : c'est le premier monument entièrement en grès et à galeries concentriques sur chaque étage. Enfin par son iconographie, les pavillons axiaux étant ornés de bas-reliefs, décrit Pascal Royère, responsable de la restauration pour l'EFEO. Il ajoute, souriant : "Il se distingue aussi par l'état de délabrement dans lequel on l'a retrouvé au XIXè siècle..."
Dès sa construction, l'audacieux temple-montagne dédié à Shiva pose en effet souci. Derrière les hautes parois sculptées se cache un imposant remblai sablonneux qui se tasse sous les fortes pluies de la mousson et déforme les murs, ce qui nécessite rapidement des contre-forts, camouflés en escaliers factices aux angles de la pyramide. Puis, à partir du XVè siècle, le pouvoir khmer délaisse Angkor au profit d'une autre capitale. Désertée, la cité royale devient peu à peu la proie de la jungle. Au XVIè siècle, le Baphûon est dépouillé des pierres de son troisième gradin pour édifier un immense Bouddha long de 75 m, couché sur sa terrasse ouest.
Ce lent déclin va durer quatre siècles. Il faut attendre 1908 pour que les archéologues français - Indochine française oblige - s'intéressent au vieux temple. Il est certes mal en point, mais le pire reste à venir... "Jusque dans les années 1950, des travaux de consolidation ont lieu, retrace Pascal Royère. Mais ils n'empêchent pas d'autres effondrements : celui de 1943 emporte tout le quart nord-est de l'édifice, le menaçant d'une ruine complète". D'autres éboulements suivront. Un mal pour un bien, finalement...

UN PUZZLE ÉPARPILLÉ DANS LA FORÊT

Car de cette catastrophe naît, en 1960, un projet de sauvetage quasi insensé. "Initiée par Bernard Philippe Groslier, alors directeur des recherches archéologiques de l'EFEO, l'idée était de renforcer les maçonneries des soubassements des gradins et de mettre en place un réseau de drainage adapté pour diminuer les infiltrations d'eau de pluie. Une procédure qui impliquait la dépose préalable des structures encore en a place... Et dçnc le démontage et le stockage d'environ 300.000 blocs de grès sculptés", expose l'architecte. En clair, il s'agit de réduire le Baphûon à l'état d'un immense puzzle à ciel ouvert pour mieux le reconstituer ensuite. Une technique délicate, l'anastylose, jamais tentée jusque-là à si grande échelle.
Mais la guerre civile qui ravage le pays dans les années 1970 bouleverse le projet. Alors que le démontage est achevé et les premiers travaux de consolidation lancés, le chantier doit être abandonné en toute hâte, les combats gagnant Angkor. Et pendant vingt ans, "le Baphûon va rester en l'état : une pyramide aux parements démantelés, dont seul le squelette est maintenu en place tandis que des centaines de milliers de pierres gisent, entreposées sur 10 ha de forêt autour du temple... Voilà la situation dont nous avons hérité lorsque nous avons repris le chantier avec l'EFEO et les autorités cambodgiennes en 1995", décrit Pascal Royère. Pis : alors que le temple gît démembré, "les documents constitués au cours des années 1960-1970, dont les descriptifs de l'état des lieux et les relevés graphiques, sont détruits en 1975 lors de la chute de Phnom Penh. Seuls subsistent alors un peu moins d'un millier de photos prises entre 1910 et 1975, et les journaux de fouilles tenus par les conservateurs d'Angkor..."

300.000 PIERRES À REMETTRE EN PLACE

Dans ces conditions, le projet de reconstituer le temple, relancé en 1990 sous l'égide de l'EFEO et en partenariat avec l'APSARA, l'autorité cambodgienne en charge du site, n'est plus seulement ambitieux et inédit : il devient hors norme. Car il implique de retrouver et classer les pierres éparpillées dans la forêt et, depuis le temps, recouvertes de mousse ; puis d'identifier leur emplacement sur l'édifice, mais sans l'aide d'aucun plan de montage...
Seul un long et fastidieux travail réalisé sur place permet d'inventorier chacune des quelque 300.000 pierres. Un travail de titan qui, démarré en 1995, durera quatre ans et mobilisera près de 70 % des deux à trois cents artisans recrutés pour le chantier. Ce n'est que lorsque ce travail est suffisamment avancé que débute la deuxième phase : tenter de remettre les pierres à leur place d'origine. Les architectes espèrent alors pouvoir recourir à l'informatique : "Nous avons tenté de développer un logiciel avec l'espoir qu'il nous aide pour la reconnaissance des pierres. Notre idée était d'analyser de façon poussée les décors afin d'isoler des familles de blocs (façades, fenêtres, etc.) avec des motifs identifiables, que nous aurions ensuite subdivisées... Cela revient vraiment à faire un puzzle : on classe les pièces qui ont un bord, celles en angle, celles d'une même couleur, etc. Nous aurions ensuite modélisé les pierres et mis au point un système capable, pour un emplacement donné du temple, d'identifier quelques candidates parmi les 300.000 possibles", détaille Pascal Royère.

LES LOGICIELS AUSSI SE CASSENT LA TËTE
Faire appel à l'intelligence artificielle pour résoudre des puzzles est un classique. Dans tous les cas, "le problème principal n'est pas la puissance de la machine, mais la combinatoire, le nombre de paramètres à gérer pour le logiciel", indique Radu Horaud, directeur de recherche à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique. Car le programme a besoin d'une base de données recensant les pièces, et doit aussi pouvoir les distinguer pour les assembler correctement. Pour un puzzle en 20, des algorithmes de reconnaissance d'images peuvent suffire. En 3D, le logiciel doit en plus être capable de raisonnement géométrique, c'est-à-dire pouvoir indiquer quelles faces composent entre elles une seule et même pièce. Concevoir ce genre de logiciel est donc un défi intéressant, mais très coûteux en temps et en argent.

LA PATIENCE POUR SEUL OUTIL

Simple en apparence, l'idée s'est avérée dans les faits impossible à appliquer. "Beaucoup de paramètres, immédiatement interprétables pour nous sur le terrain, ne le sont pas pour un programme : par exemple, les types d'usure due aux intempéries et aux frottements entre pierres, ou une altération des couleurs à cause d'une gouttière. Le logiciel s'est donc avéré trop lourd et compliqué à écrire". Au final, l'informatique n'a fait qu'une brève et tardive incursion sur le chantier, à travers une représentation 3D globale du temple.
C'est l'un des paradoxes de ce projet unique : un logiciel devait trier les pierres et retrouver leur place dans le temple disparu, puis les experts humains valider l'ensemble... Mais c'est l'inverse qui s'est produit ! Et, pour réussir là où la technologie s'est révélée impuissante, les équipes franco-cambodgiennes n'ont pas eu d'autre choix que de s'armer de patience, en revenant aux fondamentaux du puzzle, à savoir le recensement, le tri et l'emboîtement des pièces. En définitive, ce chantier fut un prodigieux jeu d'enfant qui aura duré quinze ans. Avec, comme guide, le travail préparatoire effectué pour le logiciel inachevé classant les blocs de pierre par familles, d'anciens clichés du temple, quelques rares documents d'époque et, surtout, la façade ouest - la seule qui soit restée intacte. Il a fallu aussi étudier les jeux de symétrie entre façades utilisés ailleurs par les constructeurs khmers ; traquer les répétitions de certaines formes et les combinaisons des moulures, les traces de taille sur les pierres, etc.

FAITS & CHIFFRES
Pour assembler 300.000 pierres, pesant entre 500 kg et 2 tonnes, réparties sur 10 ha, il a fallu mobiliser en moyenne 230 personnes par jour pendant 15 ans (charpentiers, tailleurs de pierre, dessinateurs, etc.), pour un coût de 9,5 millions d'euros, financé aux 2/3 par le ministère des Affaires étrangères français et à 1/3 par l'EFEO.

DES DéCORS D'ORIGINE RETROUVéS

Un travail finalement payant ! Car, petit à petit, motifs et bas-reliefs ont été reconstitués sur le papier pour chaque portion du temple. En parallèle, le regroupement par familles des pierres était lancé afin de rassembler les blocs par tronçons dans la forêt. "Evidemment, note Pascal Royère, cela nous a demandé de nombreux essais et démontages pour chaque motif - parfois jusqu'à une quinzaine de tentatives". Pendant ce temps, les ouvriers achevaient de stabiliser le remblai central et d'installer son système de drainage pour qu'il soit prêt à recevoir son précieux parement.
Le remontage in situ des tronçons recomposés a constitué la dernière étape. Celle qui, après quinze ans d'un chantier incomparable, va s'achever en ce début 2011. Au fil des années et des éléments replacés, les belles formes du temple-montagne sont réapparues, émergeant du chaos de la jungle. Et nous, témoins privilégiés, pourrons bientôt le voir comme personne ne l'a jamais vu ! Car la méthodologie rigoureuse des spécialistes franco-cambodgiens leur a permis de retrouver des décors oubliés depuis des siècles. En redonnant forme au grand Bouddha allongé sur la terrasse ouest, ils ont ainsi récupéré les pierres de parement qui avaient été arrachées au XVIè siècle à la troisième terrasse pour les remettre autant que possible à leur emplacement d'origine - sans que cela n'altère en rien la majestueuse et paisible silhouette sacrée.
Ainsi paré, dans le respect de ses avatars passés des XIè et XVIè siècles, le Baphûon est assuré de renaître dans toute sa splendeur. Une splendeur qui, à jamais, portera aussi la trace des hommes d'aujourd'hui.

E.R. - SCIENCE & VIE > Mars > 2011

 
 

   

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