Monde ANTIQUE : EUROPE

FRANCE - Art Rupestre : Massif du Mercantour

Des Merveilles Bichonnées

TERRE SAUVAGE N°366 > Juillet > 2019

40 000 Gravures à Ciel Ouvert

L'un des plus grands sites d'art rupestre d'Europe, la Vallée des Merveilles, sucite encore des interrogations.

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...anciennes, qui ornent les rochers vers lesquels Henry de Lumley s'est tourné. Zigzags, spirales, étranges symboles rectangulaires... Il faut toute l'expertise d'un paléontologue pour comprendre ce qu'elles symbolisent : "Plus de 70 % des pétroglyphes de la vallée représentent des cornes d'animaux et des attelages, affirme Henry de Lumley. Les 30 % restants matérialisent des formes géométriques et des armes - notamment des poignards". Ce sont justement ces poignards qui, en 1878, permirent au préhistorien français Emile Rivière de dater précisément le site. Leur forme (lame triangulaire à base rectiligne, manche court) ressemblait beaucoup à de vrais poignards retrouvés sur des sites archéologiques du nord de l'Italie et du sud-est de la France, et dont l'origine remontait au... chalcolithique, une époque comprise entre le néolithique et l'âge de bronze. Si les hommes ont continue à graver, au cours des siècles, navires, inscriptions diverses, le vrai trésor du Mercantour réside donc là : l'une des plus grandes collections de gravures préhistoriques d'Europe. Plus de 40.000 pétroglyphes datant de -3300 à -1800, disséminées sur 4100 roches et 1800 hectares.
Le site est si vaste que la recension de l'ensemble des figures a pris plus d'un siècle. Commencé par Emile Rivière, le travail s'est poursuivi au début du XXè avec l'archéologue britannique Clarence Bicknell et le sculpteur italien Carlo Conti. Depuis les années 1960 et jusqu'à aujourd'hui, ce sont les équipes d'Henry de Lumley qui ont repris le flambeau. En 2011, elles annonçaient même avoir terminé une première vague de relevés et entamaient une nouvelle campagne, centrée sur des pétroglyphes plus discrets qui avaient échappé au premier balayage. En cette matinée ensoleillée, Henry de Lumley se faufile difficilement au milieu des chemins escarpés. Seuls quelques mélèzes subsistent à ces altitudes. Le reste du paysage est rocailleux, parsemé de dalles aplanies et polies par le passage des glaciers. Malgré ce visage austère, la vallée attire 40.000 visiteurs par an, dont la majorité viennent pour les roches gravées. Mais pas question que chacun déambule à sa guise dans ce musée à ciel ouvert : les deux principaux secteurs de regroupement des pétroglyphes sont interdits aux randonneurs qui ne seraient pas accompagnés d'un guide ; seuls quelques sentiers secondaires sont libres d'accès. Il est bien sûr interdit de bivouaquer, de poser les mains ou les chaussures sur les gravures, et l'usage de batons de marche à bout ferré est prohibé. Pour ceux que ce strict réglement découragerait, il reste le musée des Merveilles de la commune de Tende, où sont exposés les moulages des plus belles roches du site.
Un musée n'est d'ailleurs pas de trop pour plonger dans les mystères de ce lieu étonnant. Que racontent ces spirales et ces rectangles, ces symboles d'animaux et de poignards ? Dans quel but ont-ils été gravés ? Et pourquoi ici, à 2000 m d'altitude, dans cette vallée si difficile d'accès ? À ces questions, les scientifiques tentent péniblement d'apporter des réponses. Un détour par d'autres sites d'art rupestre connus (en particulier celui de val Camonica, dans la région italienne de Lombardie) leur a permis de supposer que les motivations qui poussèrent les hommes du chalcolithique à fréquenter cette région inhospitalière étaient vraisemblablement religieuses. "Il s'agissait de demander aux divinités de faire tomber la pluie pour fertiliser les terres", explique de Lumley. Une théorie d'autant plus plausible que le mont Bégo, pivot naturel de la vallée et dont le sommet culmine à près de 3000 m, est réputé pour la violence de ses orages. Mais selon une autre interprétation, c'est plutôt le soleil qui aurait été ici au centre des préoccupations : l'ensemble du site aurait servi d'observatoire solaire. "Certaines roches gravées du mont Bégo sont orientées vers le soleil couchant pour marquer le passage du temps", atteste Jérôme Magail, administrateur du musée d'Anthropologie préhistorique de Monaco et l'un des fervents partisans de cette thèse. "Deux roches gravées ont notamment fait office de cadrans solaires saisonniers".
Ce sont les premières formes d'écriture connues de l'Histoire, mais elles restent à déchiffrer ! Les interrogations ne concernent pas seulement la fonction du lieu, mais également la nature des inscriptions gravées. Ainsi, il ne fait plus de doute aujourd'hui que certains des motifs sont bien plus que des pictogrammes : des idéogrammes, c'est-à-dire des signes graphiques représentant un mot ou une idée, comme c'est le cas pour le japonais et le chinois. C'est le géologue britannique Matthew Moggridge qui propose cette interprétation en 1868, après avoir comparé des gravures du Mercantour avec des hiéroglyphes égyptiens - et notamment un curieux dessin en zigzag qui, sur les tombeaux des pharaons, symbolise l'eau. Les pétroglyphes de la vallée des Merveilles sont considérés comme l'une des premières formes d'écriture connues de l'Histoire, au même titre que les hiéroglyphes et les écrits cunéiformec de Mésopotamie, dont ils sont les contemporains. "C'est un langage inscrit dans la pierre, un texte qu'il faut savoir lire", confirme Henry de Lumley. Quant à pouvoir déchiffrer cette écriture, il reste du travail. La vallée des Merveilles n'a pas encore livré tous ses secrets !

ÇA M'INTÉRESSE N°416 > Octobre > 2015
 
 

   

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