C'est dans le nord-ouest du continent, dans la région de Kimberley, qu'ont été découvertes ces peintures qui pourraient être parmi les plus anciennes de l'humanité (->). Un trésor d'art pariétal sans équivalent au monde vient d'être mis au jour en plein bush, dans le nord de l'Australie, dans la région de Kimberley (environ 400.000 km²), l'une des moins peuplées de la planète. C'est ici, en juin dernier, qu'une équipe d'archéologues et d'anthropologues australiens a mis la main sur des dizaines de parois rocheuses couvertes de centaines, voire de milliers, de motifs peints à la signification mystérieuse et comme surgies du plus lointain passé de l'humanité. LA DATATION RESTE À ÉTABLIR Battues par les vents, ces peintures ont la particularité d'être à ciel ouvert et non au fond de grottes fermées, comme c'est le cas dans les plus fameux sites pariétaux européens. Elles sont donc à peine protégées des intempéries et des brûlures du soleil. Plus surprenant : l'âge supposé de ces œuvres. Car "ces peintures pourraient être parmi les plus anciennes de l'humanité, s'enflamme Mike Morwood, archéologue à l'université de Wollongong et codécouvreur de l'homme de Florès. Nous savons que l'homme est arrivé en Australie il y a environ 50.000 ans. De plus, de la matière organique (un nid d'abeilles fossilisé) collée sur une peinture de la région a été datée de 17.400 ans [contemporain de Lascaux]. Les représentations situées derrière sont donc forcément plus vieilles !" L'EXPÉDITION A RÉUNI ARCHÉOLOGUES, ANTHROPOLOGUES ET ABORIGÈNES Ses mystères, la région de Kimberley les cultive depuis longtemps. Seuls quelques explorateurs se sont risqués dans cette région perdue du nord de l'Australie, peuplée d'un habitant aux 10 km². L'un d'eux, Joseph Bradshaw, un européen d'origine anglaise passionné d'art rupestre, a donné son nom aux premières peintures qu'il avait répertorié dans la région à la fin du XIXe siècle. Délaissées faute de moyens et d'outils scientifiques pour les étudier, ces peintures sont tombées dans l'oubli, jusqu'à ce qu'un amateur éclairé, Graham Walsh (décédé aujourd'hui) parcourt la région dans les années 1990. Découvrant plusieurs autres parois peintes, il transmet alors sa passion à l'archéologue Mike Morwood et à l'anthropologue June Ross, tous deux Australiens. Depuis près de 20 ans, ces deux chercheurs n'ont qu'un projet en tête : arpenter la région pour y découvrir de nouvelles peintures et tenter de remonter les traces des premiers hommes arrivés en Australie. Après plusieurs années de recherche de financement, une véritable expédition scientifique est enfin organisée en juin dernier avec l'implication active de la communauté aborigène. Pendant 32 jours, 17 personnes ravitaillées par hélicoptère - archéologues, anthropologues et représentants aborigènes -, ont recensé 55 parois peintes, détaillé plusieurs centaines de motifs et effectué des centaines de prélèvements d'échantillons de sol.
Chaque roche de Kimberley peut cacher un trésor. Ce qui frappe ici, c'est la profusion de peintures rupestres, puis leur esthétique et leur beauté. Les personnages sont longilignes, effilés... "Ce qui est formidable ici, c'est qu'on a un luxe de détails, commente June Ross. Autour de la taille, des poignets, des chevilles et des cheveux, on devine des sortes de parures. On dirait que ces gens sont en train de danser, qu'ils sont en transe ou en lévitation. Il y a une 'vraie joie de vivre'". Sur une paroi située à quelques kilomètres, on trouve le même type de personnages mais armés jusqu'aux dents de boomerangs, de propulseurs, de lances... PARTOUT SE SUPERPOSENT DES FIGURES D'ÉPOQUES DIFFÉRENTES
Si Mike Morwood et son équipe s'intéressent tant aux traces laissées par l'homme dans cette région de Kimberley, c'est qu'ils pensent que la colonisation de l'Australie a commencé ici. L'hypothèse vient de leur découverte au Timor de pierres taillées attribuées à Homo sapiens datées de 60.000 ans environ. "Or, lors des périodes glaciaires qui ont eû lieu depuis, les côtes d'Indonésie n'étaient qu'à 80 km de l'Australie, explique l'archéologue. Une traversée en bateau paraît tout à fait envisageable, même à cette époque reculée, à partir des Îles de Timor ou de Florès. Nous avons aussi des preuves matérielles de présence humaine en Australie - des outils, des ossements, et du charbon de bois - datées de 50.000 ans. Les peintures que nous venons de recenser ont-elles été réalisées à la même époque ? Il faudrait pour cela réussir à les dater". Carbone 14 et Rayons X Et c'est là que ça se complique... Les peintures rupestres sont des mélanges de pigments minéraux (des oxydes métalliques pour les ocres) et d'un liant généralement à base de matière organique (des huiles végétale ou animale, du sang, etc.). Or seule la matière organique est datable avec les techniques usuelles de datation au carbone 14. Mais si les pigments ont colorié et imprégné la roche, la matière organique, plus fragile, a, elle, disparu. Du coup, l'équipe est obligée de procéder par des méthodes indirectes et, notamment, en fouillant au pied des parois, à la recherche de vestiges datables. C'est ainsi qu'à quelques dizaines de centimètres de profondeur, les archéologues ont trouvé des outils de pierres et de quartz accompagnés de poudre d'ocre, ultimes restes de peinture tombée de la palette de ces artistes. Il s'agit ici de dater la matière organique qui compose les couches dans lesquelles se trouvent ces restes. Ce qui donnera une idée de l'âge minimum des pigments qui y étaient associés... Même démarche indirecte avec une roche peinte dont une partie effondrée se trouve aujourd'hui enfouie dans le sol. Tous ces échantillons sont en cours d'analyse au carbone 14 depuis début octobre au laboratoire de chimie organique de l'université de Sydney. Par ailleurs, l'équipe place aussi beaucoup d'espoir dans une autre technique de datation, plus fine, mais plus difficile à mettre en ouvre : il s'agit d'amener sur place un spectromètre portatif à rayons X qui permet de dater en mesurant sans prélèvement le rapport uranium/thorium dans les fines couches de silicate qui se forment sur les peintures avec le temps.
Quel que soit le verdict des datations, cette profusion de peintures fait déjà de la région de Kimberley un des sites les plus riches du globe en termes d'art pariétal. "Le plus important, commente Michel Lorblanchet, spécialiste français de l'art rupestre, ce n'est pas tellement que ces peintures soient plus anciennes ou plus récentes que celles que l'on trouve en Europe comme celles de la grotte Chauvet datées de 35.000 ans. Ce qu'il faut comprendre, c'est le côté foisonnant de l'art dans ces tout premiers instants de l'humanité. D'un bout à l'autre de la planète, quelles que soient les périodes, on retrouve les mêmes besoins d'illustrer des mythes, des croyances, de communiquer avec d'autres hommes mais aussi avec les esprits, avec l'au-delà". Le spécialiste remarque cependant une différence, et non des moindres, avec les arts pariétaux d'Europe : "Nous n'avons aujourd'hui plus aucun contact, aucun lien avec les cultures productrices de ces peintures. C'est un art fossile... Or, ce n'est pas le cas en Australie, où cet art est vivant". En effet, au fil des millénaires la population aborigène s'est réapproprié en permanence la signification de ces peintures, en ajoutant de nouvelles par-dessus les anciennes comme pour maintenir une continuité et les intégrer dans leur propre interprétation du monde.
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