Monde NATUREL en AFRIQUE - TCHAD

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Tchad : les Aventuriers de l'Arche Perdue

Aux confins du Sahara, dans le nord du Tchad, se cache un massif oublié, sculpté par l'érosion. rares sont ceux qui osent s'y aventurer. Une équipe de grimpeurs s'est lancée à l'assaut des parois rocheuses de l'Ennedi.

"Il nous a fallu plus de trois jours de 4x4 pour parvenir jusqu'ici, trois jours exténuants à travers le desert durant lesquels nous n'avons rien vu d'autre que du sable, du lever au coucher du Soleil", écrit le grimpeur americain Mark Synnott dans le journal de l'expedition. Puis, le quatrième jour, une forêt d'arches et de pitons rocheux défiant les lois de la physique se dessine à l'horizon. "Il y en avait des milliers, peut être des dizaines de milliers", s'émerveille Mark. Nous sommes en novembre 2010, dans le Sahara, et il ne s'agit pas d'un mirage. Le jeune homme a atteint son but : l'Ennedi, un massif montagneux buriné par l'érosion, perdu au nord du Tchad. Lui et cinq autres pros de l'escalade s'apprêtent à en gravir les parois, ce que personne n'a encore jamais fait.

Traversé des seuls nomades, l'Ennedi, l'une des dernières terres d'aventure. Dans ce massif grand comme la Suisse, l'eau et le vent ont sculpté l'un des paysages les plus torturés de la planète. Au cours des millenaires, les strates de grès les plus tendres se sont délitées. Seules se dressent encore les couches les plus résistantes. Ce sont elles qui forment arches et monolithes monumentaux semblables à ceux, plus célèbres, de l'Utah (États-Unis). Semblables à un détail près : le nombre de touristes. Outre les Bideyat, peuple nomade vivant dans les gorges de l'Ennedi, rares sont les hommes à les avoir contemplés. "C'est une terre d'aventure", confirme Daniel Popp, spécialiste du désert et auteur du livre Un éden au Sahara (ed. du Chêne). "Il n'y a aucune infrastructure touristique, on se retrouve isolé en plein désert à plusieurs jours de route de N'Djamena, la capitale. Il faut donc de gros moyens logistiques pour y accéder". Sans compter que, coincé entre la Libye et le Darfour (Soudan), l'Ennedi n'est pas le coin le plus sûr du monde. Isolée par les guerres civiles qui ravagent le Tchad depuis plus de cinquante ans et confrontée à la montée de l'islamisme, la région est en proie à une insécurité chronique. "Dangereux ? Disons qu'il vaut mieux y voyager discrètement", tempère Daniel Popp. En 2010, Marc Synnott et son équipe racontent avoir eu maille à partir avec quatre hommes armés de poignards...
Ceux qui connaissent l'Ennedi sont pourtant unanimes : le spectacle vaut le detour ! Et pas seulement celui des sculptures rocheuses. "Découvrir l'arche d'Aloba - la deuxième plus haute du monde après Rainbow Bridge (Utah) - a été l'un des grands chocs de ma vie, raconte Daniel Popp, mais le vrai bijou se trouve plus loin, sur les bordures du plateau, en pénétrant dans les gorges"... Leur sol de grès poreux retient le peu d'eau de pluie qui y tombe six semaines par an. Les canyons de l'Ennedi constituent de véritables châteaux d'eau qui alimentent des sources permanentes, les gueltas. À l'ombre des canyons, la flore a échappé à l'assèchement général. La végétation y est identique à celle qui couvrait le Sahara il y a 4000 ans, avant qu'il ne se transforme en un désert de sable.

Sanctuaire pour la faune et la flore, le massif recèle aussi des ouvres d'art. "Vous marchez des heures dans un paysage aride de roches déchiquetées, puis vous tombez sur l'oued de Nohi, sa forêt luxuriante et ses arbres hauts de 25 mètres ! Cela n'existe nulle part ailleurs dans le Sahara", s'enflamme Daniel Popp. Selon Hubert Gillet, premier botaniste à étudier la flore de la région dans les 1950, les végétaux de l'Ennedi ont gardé leur caractère tropical. C'est le cas du Rauvofia (->), une essence rare typique des forets humides équatoriales et qui s'épanouit pourtant dans les gorges du Bachikélé.
De fait, l'Ennedi est une arche de Noé pour la faune. On y croise des babouins, des mouflons, des gazelles, des marabouts et même... des crocodiles du désert, Crocodylus suchus (<-). Une dizaine de survivants, certains atteignant 3 mètres de long, se baignent encore dans les gorges de l'Archeï. Avant de devoir s'y réfugier, leurs ancêtres vivaient dans les fleuves (aujourd'hui asséchés) qui reliaient le massif au lac Tchad. Des crocodiles, donc, mais peut-être aussi des Varans du Nil ou des lions comme Théodore Monod en a observés dans les années 1960. Depuis, aucun recensement n'a pu être mené. Nul ne sait quelles espèces peuplent ce monde perdu. Une chose est sûre : le massif n'est pas qu'un sanctuaire pour la faune et la flore. Au nord, sur les falaises de Niola Doa, des archéologues ont découvert, gravées dans la pierre, des scènes de chasse, des boufs, des girafes et quatre femmes nues de 2,50 mètres de haut ! Les ancêtres des Bideyat les ont probablement dessinées au troisième millénaire avant Jésus-Christ. Les canyons de l'Ennedi recèlent décidément bien des trésors.
Texte : Adeline Colonat. Photos : Jimmy Chin. Carte : Antoine Levesque.

ÇA M'INTERESSE HS N°3 > Décembre - Janvier > 2012
 
 

   

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