Monde NATUREL en ASIE - NÉPAL-CHINE : Himalaya

Himalaya : l'Invasion de l'Everest

L'Everest, en tibétain Chomolungma, en népalais Sagarmatha, aussi appelé mont Everest, est une montagne située dans la chaîne de l'Himalaya, à la frontière entre le Népal (Sagarmatha) et la Chine (Tibet).

La face Nord de l'Everest (->) vue en direction du camp de base tibétain.

Son altitude est établie à 8.848 mètres et il est identifié comme le plus haut sommet du monde au-dessus du niveau de la mer.

L'INVASION DE L'EVEREST

Plus de la moitié des alpinistes atteignent à présent la cime, malgré les dangers de l'affluence excessive. Les deux voies principales souffrent d'une dangereuse surpopulation mais aussi d'une pollution répugnante. Des ordures s'écoulent des glaciers et des monceaux d'excréments souillent les camps de haute altitude.

Notre groupe se trouve sur l'Everest pour féter l'anniversaire de l'expédition américaine de 1963 qui devint l'une des pages les plus héroïques de l'histoire de l'alpinisme. Mais, comme nous le constatons, cette montagne s'est muée en un concentré de tout ce qui cloche dans l'alpinisme. En 1963, seules six personnes l'avaient gravi ; au printemps 2012, plus de 500 alpinistes se sont succédé à son sommet. Quand je l'atteins, le 25 mai, la cime est si encombrée que je n'ai pas la place de m'y tenir debout. Pendant ce temps-là, au ressaut Hillary, un peu plus bas, les cordées sont si longues que certaines personnes qui montent doivent attendre plus de deux heures en grelottant et en s'affaiblissant, bien que la météo soit au beau fixe. Si cette foule d'alpinistes avait été prise dans une tempête, comme d'autres l'ont été en 1996, le nombre de morts aurait été effarant.
L'Everest a toujours été un trophée convoité, mais maintenant que près de 4.000 personnes ont atteint son sommet, et certaines plus d'une fois, l'exploit a perdu de sa signification. Environ 90 % des grimpeurs sur l'Everest sont aujourd'hui accompagnés de guides, et beaucoup n'ont pas les plus élémentaires compétences en alpinisme. Ils ont payé 20.000 à 100.000 euros pour être sur la montagne et, pour un trop grand nombre, ils s'attendent ingénument à en atteindre le sommet. Une bonne partie y parvient, mais dans des conditions effroyables.

Les deux voies principales, les arêtes nord-est et sud-est (->), souffrent d'une dangereuse surpopulation mais aussi d'une pollution répugnante. Des ordures s'écoulent des glaciers et des monceaux d'excréments souillent les camps de haute altitude. Et puis il y a les décés. En plus des 4 alpinistes ayant péri sur l'arête sud-est, 6 autres sont morts en 2012, dont 3 sherpas. À l'évidence, il y a quelque chose de pourri sur le plus haut pic du monde. Mais, si vous parlez aux personnes qui le connaissent le mieux, elles vous diront que tout espoir n'est pas perdu.

RUSSELL BRICE, 60 ANS, dirige Himalayan Experience, la plus importante et sérieuse entreprise de guides de l'Everest. "Himex" comme on la surnomme, a organisé 17 expeditions sur l'Everest, côtés népalais et chinois. Brice, un Néo-Zélandais installé à Chamonix, est connu pour mener son entreprise avec poigne. Chaque alpiniste et sherpa est équipé d'une radio et est tenu de se signaler tous les jours. Chacun doit aussi porter un détecteur de victime d'avalanche, un casque, un baudrier et des crampons, et s'attacher aux cordes de sécurité. Pour éviter les ennuis, tout client a obligation de suivre l'allure du groupe ou de faire demi-tour. Malgré leur taille relativement importante (jusqu'à 30 clients accompagnés d'autant de sherpas), les expeditions de Brice laissent une faible empreinte sur la montagne. Elles remportent tous leurs excréments et déchets, ce que peu de groupes font. Les mesures prises par le Sagarmatha Pollution Control Committee, sorte de conseil municipal de l'Everest, ont amélioré le nettoyage au camp de base (les déchets sont recueillis dans des conteneurs puis évacués) mais n'ont guère eu d'impact plus en altitude. Le camp 2, à 6474 m, est particulièrement repoussant. Le camp 4, à 7906 m, est un peu moins sale, mais les toiles en lambeaux des tentes abandonnées y claquent dans le vent.
"Nous pourrions faire face à cet afflux si tous les opérateurs se parlaient, estime Brice. C'est juste une question de communication". Ce n'est pas aussi simple. D'autres facteurs entrant en jeu. L'un d'eux est l'amélioration des prévisions météo. Faute d'informations, les expéditions tentaient jadis l'ascension dès que leurs membres étaient prêts. Aujourd'hui, avec les prévisions hyperprécises par satellite, les équipes savent exactement quand une fenêtre de beau temps s'ouvrira, et elles partent souvent toutes pour le sommet les mêmes jours. Autre facteur : les entreprises low-cost ne disposent pas toujours du personnel, du savoir-faire ou des équipements adéquats pour assurer la sécurité de leurs clients si les choses se gâtent. Les opérateurs bon marché emploient souvent moins de sherpas, et ceux qu'ils recrutent manquent parfois d'expérience.
"Tous les clients morts sur l'Everest l'an passé ont recouru à des opérateurs à bas prix et moins expérimentés", assure Willie Benegas, un guide de haute altitude américano-argentin de 44 ans. Lui et son frère Damian ont fondé Benegas Brothers Expeditions, qui a dirigé 11 expéditions sur l'Everest. En plus d'obliger les entreprises népalaises à s'aligner sur les niveaux d'exigence des étrangères, estiment les Benegas, le ministère népalais de la Culture, du Tourisme et de l'Aviation civile (qui a la haute main sur les ascensions de l'Everest) devrait encourager une meilleure formation des sherpas. Pour empêcher les embouteillages sur la montagne, certains ont proposé de limiter le nombre de permis par saison mais aussi la taille de chaque groupe à 10 clients par expédition. Ce qui laisse certains sceptiques. "Cela n'arrivera pas, assure le Néo-Zélandais Guy Cotter, 50 ans, propriétaire d'Adventure Consultants, avec 19 expéditions sur l'Everest an compteur.
L'Everest est un gros business pour le Népal et ses dirigeants ne refuseront jamais de l'argent". Au Népal, un quart des 30 millions d'habitants estimés vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Le pays lui-même est dans l'incertitude. Une guerre civile de 10 ans entre maoïstes et loyalistes progouvernementaux a pris fin en 2006. Puis la monarchie a été abolie et une coalition gouvernementale formée, mais les sept derniéres années ont été profondément troublées, les activités des partis politiques ex-belligérants étant régies par une Constitution provisoire. Le système politique est "si corrompu et si irresponsable, selon Kunda Dixit, rédacteur en chef du Nepali Times, que le fait de ne pas avoir de gouvernement est en réalité bénéfique car il n'y a personne pour commettre ces fautes". Les expéditions sur l'Everest ont rapporté plus de 9 millions d'euros au Népal au printemps 2012, selon Ang Tshering Sherpa, fondateur d'Asian Trekking. "N'oubliez pas que le Népal est un État en quasi-faillite, souligne Guy Cotter. Davantage d'intervention du gouvernement ne ferait que favoriser la corruption". C'est aussi l'avis de Dave Hahn, un guide de haute altitude dont les 14 ascensions de l'Everest constituent le record américain. Attendre du gouvernement népalais qu'il trouve des solutions institutionnelles est irréaliste, pense-t-il : "Les opérateurs de l'Everest doivent s'unir pour autoréguler la situation". "Le ministère est une bureaucratie tentaculaire en dysfonctionnement", selon Conrad Anker, 50 ans, qui a dirigé l'expédition de 2012 soutenue par le National Geographic. Sur les 2,3 millions d'euros générés chaque année par les taxes sur les permis des expeditions, seul un petit montant revient à la montagne". Contacté a plusieurs reprises pour cet article, le ministere a décliné tout commentaire.
Le système dit de "l'officier de liaison" est un parfait exemple de ce dysfonctionnement, précise Anker. Chaque groupe partant à l'assaut de l'Everest se voit attribuer un officier de liaison du gouvernement - ou liaison officer (LO) - rétribué par le groupe et censé veiller au respect de la réglementation. Mats aucun des LO ne participe aux ascensions. "La plupart ne restent même pas au camp de base, explique Anker. Ils repartent dans la vallée, où il fait chaud". Il estime que les LO devraient être remplacés par des gardes alpinistes ayant les connaissances, les capacités et le désir de surveiller la montagne et de faire respecter les règlements. L'Everest a aussi besoin d'une équipe permanente de recherche et de secours ; "Huit sherpas et quatre guides occidentaux, tous rémunérés via le ministère. Cela rendrait la montagne plus sûre".
Il y a une décennie, Anker a fondé avec sa femme, Jenni, le Khumbu Climbing Center (KCC) dans le village de Phortse pour améliorer les compétences en alpinisme des sherpas et, du coup, accroître la marge de sécurité pour tout le monde sur l'Everest. Un grand nombre des 700 guides formés par le centre travaillent à ce jour pour des entreprises sur la montagne. Après tout, ce sont les sherpas qui effectuent la plupart des sauvetages. Danuru Sherpa, un ancien élève du KCC ayant 14 ascensions de l'Everest à son palmarès, m'a dit qu'il avait arraché à la montagne au moins 5 personnes à bout de forces et leur avait sauvé la vie. "L'un des problèmes les plus évidents, poursuit Anker, est que les clients ne respectent pas le savoir-faire et l'expérience des sherpas". Ceux-ci en sont en partie responsables, en un sens. La plupart d'entre eux sont des bouddhistes tibétains et leurs principes religieux les font fuir les confrontations. "Les clients passent parfois outre leurs conseils et périssent, dit Anker. L'année dernière en a été un triste exemple. Nous essayons d'aider les sherpas à s'affirmer".

MALGRÉ TOUS CES PROBLÈMES, l'Everest reste unique. Il existera toujours des gens qui voudront escalader le plus haut sommet du monde et pour qui, plutôt que la foule et les monceaux d'ordures, l'important sera d'être sur l'Everest. La montagne est si haute et impassible qu'elle exige de chaque alpiniste, à un moment ou à un autre, qu'il donne le meilleur de lui-même. Il y a aussi la beauté des lieux. Je n'oublierai jamais le panorama a couper le souffle que nous avons contemplé depuis notre perchoir du camp 3, les nuages envahissant peu à peu la combe ouest, au pied du Lhotse, telle une avalanche repartant lentement en arrière. Ou le crissement de mes crampons dans le labyrinthe cristallin de la cascade de glace du Khumbu. Je chérirai le souvenir d'une ascension réalisée avec des amis. J'ai remis ma vie entre leurs mains, ils ont remis la leur entre les miennes.
C'est pour de tels moments que les alpinistes ne cessent de retourner sur l'Everest. Il ne s'agit pas simplement d'atteindre son sommet mais de témoigner du respect à la montagne et d'apprécier l'ascension en soi. Il nous appartient désormais de rendre sa pureté au toit du monde.

Vue panoramique sur le glacier de Ngozumpa avec l'Everest au centre, en arrière-plan, masquant un lever de soleil.

L'expédition Everest 2012 a été financée en partie grâce à vos adhésions à la National Geographic Society.

NATIONAL GÉOGRAPHIC N°166 > Juillet > 2013

 
 

   

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